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pour moi ! Le temps presse ; si vous n’avez pas déjà des nouvelles de Molé, il faut en avoir le plus tôt possible.

— Mais il ne faut rien exagérer ; il faut voir les choses avec calme. Quoiqu’il en soit, l’avis est bon et je ne veux pas le négliger. Allez donc chez Molé ; faites-lui part de vos appréhensions, de ce que vous savez et des nécessités de la situation telle que vous la voyez. »

Sans perdre un instant, je m’acheminai vers l’hôtel Molé, dont j’étais séparé par une grande partie de la longue rue du Faubourg-Saint-Honoré. Sur tout le parcours, je trouvai les rues solitaires : aucun bruit rapproché ni lointain ; à peine quelques passans ; de temps en temps des patrouilles. Il était évident que tout le Paris agitable et révolutionnaire était ailleurs, et qu’il était en train de choisir les champs de bataille des quartiers populeux que je connaissais trop bien par ma propre expérience.

Cette ville endormie entre deux journées d’émeute ne faisait qu’ajouter à la solennité douloureuse de mes pensées et au besoin que je ressentais de tout tenter pour placer un gouvernement responsable et fort en face des scènes que je prévoyais pour le lendemain. C’est dans cet état d’esprit que j’arrivai à l’hôtel de M. Molé. Le premier ministre en expectative était absent. Je demandai sa fille, la marquise de la Ferté, qui m’apprit qu’il était en courses pour demander à M. de Rémusat d’accepter le porte- feuille de l’intérieur et réclamer l’appui de M. Thiers. — « Mais, me dit-elle, plusieurs des collègues qu’il pense à s’adjoindre ont été prévenus par lettres et sont déjà réunis chez lui : MM. Passy, Dufaure et Billault sont en ce moment dans le salon. » Je me rendis sur-le-champ auprès d’eux en leur exprimant les vives instances que je venais de faire auprès du roi et que j’apportais ensuite à M. Molé pour ne pas tarder un instant à former un cabinet dont chaque heure faisait mieux sentir l’indispensable nécessité.

« Je suis sûr, leur dis-je, que vous partagez mon sentiment à cet égard, et que vous n’épargnerez rien pour que M. Molé arrive auprès du roi avec un ministère tout fait. J’ajoute que ce n’est pas à demain qu’il faut attendre : il faut parler d’heures, de minutes, et non pas de jours. J’ose donc compter sur vous pour décider le comte Molé à une action prompte et résolue. — Vous avez raison, me dit M. Passy, nous parlerons à M. Molé comme vous l’auriez fait vous-même, car nous sommes frappés autant que vous de la gravité