Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

firent que réveiller en moi les sentimens de discipline et d’autorité qu’ils blessaient si ouvertement. Aussi : « Silence dans les rangs ! m’écriai-je d’une voix forte. Vous connaissez mes opinions politiques, mais ce n’est pas le moment de les exprimer ; bien plus, cette expression est condamnable. Pas un mot, messieurs, contre M. Guizot. Il n’y a qu’un cri possible en ce moment : celui de Vive le roi ! » Le silence se rétablit. Je fis, du moins, l’épreuve qu’un peu d’énergie — s’ils s’en trouvait ailleurs — pouvait encore avoir son efficacité pour le maintien de l’ordre.

Le jour était tombé, et je rentrai place Vendôme avec de noirs pressentimens qu’aucune nouvelle mesure de l’état-major n’était venue dissiper. Je croyais y trouver un message du roi. Aucune crise ministérielle, en effet, n’avait eu lieu jusque-là — pas une seule — sans que le roi me mandât auprès de lui, non pour me demander un concours que, la plupart du temps, je n’étais pas en mesure de lui donner, mais parce qu’il était bien aise d’avoir à ses côtés, dans ces circonstances pénibles ou délicates, la consolation d’un dévouement et d’une sincérité à toute épreuve. Il n’en était rien : pour la première fois, je le répète, depuis seize ans, le roi s’abstint de m’appeler. Il ne doutait pas de mon dévouement, mais ma sincérité le gênait, comme il me l’avait montré, en me disant quelques semaines auparavant : « Mais vraiment, mon cher Montalivet, vous me contrariez toujours. » Je me résignai donc à rester en famille chez moi, au milieu de quelques amis qui comprenaient, enfin, les appréhensions qu’ils avaient jugées si exagérées quelques jours auparavant.

Triste d’une abstention du roi où je trouvais la preuve des préventions qu’on avait réussi à lui inspirer contre moi, je ne me serais pas rendu aux Tuileries par respect pour le souverain autant que par dignité personnelle, sans le drame fatal qui éclata soudain sur le boulevard des Capucines, et qui fut si terriblement exploité par la démagogie pour soulever les passions populaires et les pousser à toutes les extrémités. Tout à coup, à trois cents mètres de l’hôtel de l’Intendance générale, située place Ven dôme, éclata la fusillade qui devint comme le signal de la révolution du lendemain. On croit généralement qu’un coup de pistolet étant parti des rangs de la foule et ayant atteint un soldat, la troupe cédant à un mouvement inconsidéré peut-être, mais bien naturel, répondit à cette provocation par une décharge qui fit nombre de victimes. Ce bruit sinistre fui bientôt suivi d’une scène