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Saint-Martin, sur la place de la Bastille et à l’Hôtel de Ville. On comprend avec quelle émotion, je dirai presque avec quel désespoir, j’assistais à un tel spectacle dont les funestes conséquences étaient signalées par l’envoi de divers officiers d’ordonnance qui apportaient les plaintes des généraux jusqu’à l’état-major et jusqu’au prince qui en avait pris le commandement. Était-ce, chez le duc de Nemours, l’effet d’un caractère, plein de courage sans doute, mais absolument passif, et dépourvu par nature de toute espèce d’initiative ? Était-ce l’effet du trouble occasionné par la vue soudaine d’un abîme qu’il n’apercevait pas encore quelques heures auparavant ? ou bien le poids trop lourd d’une responsabilité à laquelle rien ne l’avait préparé ? Je ne sais ; mais, en fait, aucun commandement n’existait qui rayonnât au dehors, et qui s’imposât par une volonté ferme et résolue à des volontés partout trop incertaines.

C’est au prince lui-même que j’allai porter mes doléances sur la nécessité de répondre par quelque démarche significative aux anxiétés des trois généraux détachés à la porte Saint-Denis, à la Bastille et à l’Hôtel de Ville, qui envoyaient officiers sur officiers pour savoir ce qui se passait en dehors de leurs grand’gardes et à l’état-major.

Le prince accueillit bien mes observations, et comprit la nécessité de l’envoi d’un officier supérieur accompagné d’un nombreux détachement de cavalerie avec la mission de rallier successivement les trois corps, et d’annoncer aux généraux la présence du duc de Nemours à l’état-major, de leur apporter avec les graves nouvelles des événemens politiques de la matinée des paroles d’encouragement et d’appui. Cet officier serait de plus chargé d’examiner sur place les exigences de la situation et d’y pourvoir.

« C’est une bonne idée, me dit le prince, pourquoi ne l’exécuteriez-vous pas vous-même ? Vous avez au Louvre une partie de votre légion ; détachez-en un escadron, faiies-le appuyer par un escadron de la ligne, et remplissez vous-même cette mission. » Je partis bientôt, à la tête des deux escadrons ; afin de mieux me rendre compte de l’état de Paris, je pris, pour gagner la porte Saint-Denis, la route la plus longue, la moins sûre sans doute, mais la plus propre à me faire connaître exactement la situation. A mesure que je me rapprochais des boulevards par les voies ordinairement les plus fréquentées, telles que les rues du Mail, de Strasbourg et du Caire, la foule devenait de plus en plus compacte,