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des lettres que lui adressaient d’Algérie le prince de Joinville et le duc d’Aumale, des impressions rapportées de Vincennes par le duc de Montpensier[1], avertie peut-être par les échos de l’opinion publique qui arrivaient de temps en temps jusqu’à elle en passant par le pavillon Marsan, s’était beaucoup émue de la situation des choses, et commençait à croire que le roi se trompait en pensant qu’il pouvait conserver plus longtemps M. Guizot comme premier ministre. J’en avais recueilli tout récemment, moi-même, le témoignage le plus certain de sa propre bouche. Huit ou dix jours avant la date fatale, la reine m’ayant fait appeler, me donna audience dans son petit salon retiré où je n’avais jamais encore été reçu par elle : elle me fit part de ses appréhensions personnelles, de l’inquiétude que lui inspiraient, pour le roi, les progrès d’une désaffection que tous attribuaient à l’influence de M. Guizot ; elle termina en invoquant mon dévouement pour que je fisse auprès du roi un nouvel et suprême effort après tous ceux dont elle avait déjà connaissance. « Ne savez-vous pas, hélas ! madame, lui répondis-je, que je n’ai rien négligé, et que je touche même au moment où le roi, qui me l’a laissé déjà entendre, se croira obligé de se séparer de moi au lieu de renoncer à la fatale coopération de ministres qu’il croit indispensables ? Cependant, soyez-en sûre, j’y reviendrai, non seulement pour obéir à Votre Majesté, mais pour satisfaire en même temps un dévouement digne de vous comprendre et fier de votre confiance. Il m’est toutefois impossible, madame, de ne pas vous faire remarquer que vous seule pouvez aujourd’hui, après tant d’efforts inutiles, avoir une influence décisive sur le grand parti que le roi doit prendre dans son intérêt et dans celui de ses enfans. Permettez-moi donc de reporter respectueusement vers vous, sous la forme d’une prière, la mission que vous voulez bien me donner, que j’accepte, mais dont je connais d’avance l’in succès. »

Malheureusement la reine attendit, ou ne fut pas tout d’abord écoutée ; ce qu’il y a de certain, c’est que le fait décisif de son intervention n’eut lieu que le 23 février dans la matinée, avant l’heure habituelle où M. Guizot se rendait dans le cabinet du roi, c’est-à-dire vers midi. Personne n’assista à ce qui se passa alors entre le roi et la reine ; personne ne peut dire par quels

  1. Le duc de Montpensier tenait alors garnison à Vincennes, comme officier d’artillerie.