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LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER 1848[1]


Le 23 février, Paris s’était réveillé ému, inquiet et agité. De très bonne heure des groupes nombreux stationnaient dans les quartiers les plus populeux. On avait, il est vrai, annoncé et répété déjà dans les journaux qu’un arrangement était intervenu entre le gouvernement et les organisateurs du banquet de la réforme, pour lui ôter tout caractère qui fût de nature à troubler la place publique. Le fait était vrai, et l’on a pu lire dans les journaux du temps l’étrange traité négocié et conclu, entre des commissaires de la majorité ministérielle et des délégués du banquet annoncé par le parti réformiste. D’une part, le gouvernement consentait à la démonstration et à sa mise en œuvre jusqu’à un moment donné et prévu à l’avance, tandis que les organisateurs du banquet consentaient, de leur côté, à des sommations légales suivies d’une dispersion en bon ordre préalablement convenue. Une portion même du parti républicain représentée par le journal la Réforme avait, tout en refusant sa ratification à ce traité, promis de le subir. Le nombre de ces indépendans était, d’ailleurs, très restreint, et ne semblait pas diminuer sérieusement les chances de bon ordre que la convention faite avait eu pour objet de garantir. Mais il y avait dans toutes les classes de la société une semence d’agitation, que pouvaient faire lever trop facilement des passions ardentes et audacieuses, contre lesquelles les petits arrangemens d’une vaine politique tracée et circonscrite à l’avance devaient être impuissans. Dans les sphères dynastiques elles-mêmes, on trouvait le règne de Louis-Philippe d’autant plus long qu’on le représentait comme mettant l’avenir en péril par une obstination qui se refusait à toute réforme. On arrivait ainsi à envisager, avec une sorte d’indifférence des complications politiques dans lesquelles les chefs de l’opposition parlementaire, et des membres mêmes de la famille royale, apercevaient peut-être vaguement l’abdication possible du vieux roi, sans que l’idée d’une révolution et de la chute de la dynastie approchât un instant de leur esprit.

Dans les classes instruites, dans la bourgeoisie, un vœu énergique et raisonné pour une réforme électorale qui ouvrît plus


  1. Ce chapitre est extrait des Fragmens ei souvenirs du comte de Montalivet, précédés d’une introduction et d’une notice historique par M. Georges Picot, qui paraîtront prochainement chez l’éditeur Calmann Lévy.