Fidèle au culte des souvenirs, il consacra le reste de sa vie à les défendre. Il avait la passion de son pays et de la liberté. Il gardait ses convictions, luttait pour elles, aurait été, si Dieu lui avait laissé la santé, un soldat d’avant-garde. Il se résignait à lutter la plume à la main, se dressant à propos pour rappeler, en d’éloquentes protestations, ce qu’avait fait le gouvernement dont U défendait la gloire comme l’honneur de sa vie. L’unité de ses convictions avait été absolue. Le régime représentatif, les libertés publiques garanties, le citoyen ayant conscience de ses droits et les exerçant, la justice respectée, les souvenirs de l’ancien régime effacés, le drapeau tricolore figurant à l’intérieur l’emblême de l’union des classes et à l’extérieur le signe de l’indépendance nationale, voilà ce qu’il avait toujours voulu. Il avait souhaité que ces conditions de la vie d’un grand peuple fussent placées sous l’égide d’une monarchie traditionnelle. Trompé dans ses souhaits par le coup d’État de 1830, frappé dans ses plus chères affections par la catastrophe de 1848, ayant suivi en observateur attentif la troisième tentative monarchique pendant les dix-huit années de l’Empire, il sentit que sa confiance en un chef d’État héréditaire était ébranlée par tant d’expériences si douloureusement avortées.
Quand retrouverait-on une société politique ayant plus de traditions et plus de fidélité que celle de la Restauration ? une phalange d’hommes politiques disposant de plus d’autorité, de plus d’éloquence, de plus de savoir que sous le gouvernement de Juillet ? Quand verrait-on une famille royale plus digne de respect, des fils plus vaillans se groupant autour d’un roi plus intelligent de son temps que Louis-Philippe ? Et pour ceux qui croyaient plus que lui à la vertu des plébiscites, quand réunirait-on plus de millions de suffrages que le chef du second Empire, trois mois avant l’écroulement ? Ce que n’avaient pu faire ni la tradition, ni l’intelligence, ni le nombre, M. de Montalivet n’était pas d’avis de le tenter de nouveau. Il le disait avec granité, non pas avec l’élan joyeux des enthousiasmes, mais comme on prononce un jugement sévère dicté par la raison, par l’évidence d’une vérité qui s’impose. Ceux qui l’écoutaient comprenaient combien il souffrait de prononcer cette sentence ; mais il ne se plaignait jamais de ce qu’il tenait pour inévitable. Comme tous les hommes d’action, il n’aimait pas regarder en arrière ; ses regards étaient sans cesse dirigés en avant. On a dit avec profondeur : Gouverner, c’est prévoir. La grande force de son esprit, sa qualité maîtresse avait été la prévision.
Il voyait juste, voyait d’avance et savait se décider. Lorsque, au milieu du ministère Laffite, il distinguait et appelait de ses efforts le cabinet Casimir Perler, lorsque dès 1845 il prévoyait les périls, lorsqu’en 1847 il les signalait aux plus aveugles, quand, sous l’Empire, il prédisait à ses enfans l’invasion, qu’il leur annonçait la forme républicaine