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il y a réussi. Le général Kitchener lui a notifié que le gouvernement anglais considérait Fachoda comme son bien, et il a proposé de lui en faciliter l’évacuation par le Nil : le commandant Marchand s’est contenté de répondre qu’il occuperait son poste jusqu’à ce qu’il eût reçu de nouvelles instructions de son gouvernement. Le sirdar lui a fait alors remarquer que ses forces étaient trop faibles pour résister aux revendications de l’Egypte, c’est-à-dire de l’armée anglo-égyptienne : le commandant Marchand en est convenu, mais il a ajouté qu’il était soldat, et que, si on en venait là, ses compagnons et lui mourraient autour du drapeau. Un soldat ne transige pas avec le devoir qui lui a été imposé, de même qu’un ministre des Affaires étrangères ne transige pas avec l’honneur du pays qui lui a été confié. Tout le reste, au contraire, est matière à transactions. Le général Kitchener et le commandant Marchand se sont séparés amicalement. Le second est resté à Fachoda, le premier est parti pour le Caire, et quelques jours après, pour Marseille. Il a fait route avec le capitaine Baratier, qui portait à Paris le rapport du commandant Marchand. A Marseille, à l’embarcadère du chemin de fer, le capitaine Baratier a été entouré par les membres de la Société de géographie, qui l’ont quitté un moment pour aller, toujours au nom de la science et de la civilisation, féliciter le général Kitchener de sa belle campagne sur le Nil. Le sirdar s’est exprimé dans les termes les plus sympathiques pour le commandant, et n’a pas caché l’estime qu’il éprouvait pour lui. C’est ainsi qu’il convient de se conduire entre représentans de deux grandes nations, placées à la tête de la civilisation occidentale. Les soldats donnent l’exemple aux diplomates : cet exemple sera-t-il suivi ? Il est douloureux de penser que la question reste en suspens. La France aura fait tout ce qui dépendait d’elle, non seulement pour dissiper le malentendu qui s’est produit, mais pour en effacer toutes les traces. Mais une seule bonne volonté n’y suffit pas.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.