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pas trouvé dans un ministère où régnait la plus parfaite anarchie. Un tel spectacle, surtout lorsqu’on le voit du côté des coulisses, est bien fait pour mettre le trouble dans l’âme d’un soldat. Quoi qu’il en soit, M. le général Chanoine a donné sa démission en affirmant qu’il croyait fermement à la culpabilité de Dreyfus. C’est le cinquième ministre de la Guerre qui fait cette déclaration, et le fait a certainement son importance. Seulement, si M. le général Chanoine a cru donner plus de poids à sa conviction personnelle par la manière dont il l’a exprimée, il s’est trompé.

Un grand désordre a suivi cet incident. La séance a été suspendue. Les ministres se sont enfermés pour délibérer. Les conversations ont empli les couloirs. On a cherché à se mettre d’accord sur quelque chose, et on a cru d’abord y avoir réussi ; mais on n’a pas tardé à reconnaître qu’on s’était trompé. C’est qu’en vérité, le quelque chose sur quoi on s’était mis d’accord ne signifiait rien du tout. Les groupes républicains de la Chambre, jugeant le ministère compromis, ont voulu le sauver, ceux-ci parce qu’ils tenaient à lui, ceux-là parce qu’ils ne se sentaient pas en état de lui succéder, et quelques-uns sans doute parce qu’ils estimaient que, quelque désirable que fût sa chute, il était peu opportun de la réaliser au moment le plus aigu de nos négociations avec l’Angleterre et à la veille de l’arrêt de la Cour de cassation. Nous sommes très loin de désapprouver ces derniers ; mais pourquoi se sont-ils tus ? On aurait compris deux ordres du jour, aussi dignes l’un que l’autre de rallier la majorité : l’un aurait fait allusion à la situation extérieure, l’autre aurait invoqué le principe de la séparation des pouvoirs. Au lieu de cela, qu’ont fait les groupes républicains ? Ils ont déposé un papier affirmant la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. M. Brisson les y avait conviés, et cette indication leur a suffi. Ils se sont empressés d’apporter à M. Brisson l’ordre du jour désiré. Avons-nous besoin de dire qu’il a été voté ? Il l’a même été par tout le monde, précisément à cause de son insignifiance. Nous nous rappelons le temps où, lorsque le ministère et la majorité, après s’être quelque peu disputés, cherchaient un terrain de raccommodement, ils s’entendaient sur un ordre du jour qui maintenait les lois scolaire et militaire. Elles ont bien été votées ainsi une vingtaine de fois. Cela ne servait à rien, mais faisait plaisir à la gauche et ennuyait la droite. L’autre jour, on n’a même pas réussi à ennuyer la droite : elle est toute prête à reconnaître la suprématie du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. Mais en quoi cette affirmation était-elle nécessaire ou même utile ? En quoi surtout était-elle opportune ? On ne fera croire