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UN ANGLAIS QUI AIMAIT LA FRANCE

Henry Reeve, dont M. Laughton vient d’écrire la biographie et de publier la correspondance, fut un homme heureux, et il faut lui rendre le témoignage que sa sagesse aida beaucoup à son bonheur[1]. Fils d’un médecin de Norwich, il ne s’est jamais plaint que son père ne lui eût laissé qu’une modeste fortune ; il avait le goût du travail, il travailla, et il est mort en 1895, à l’âge de quatre-vingt-deux ans, sans avoir éprouvé dans sa longue existence aucun mécompte, aucune déception, parce qu’il ne demandait à la vie que ce qu’elle pouvait lui donner. Il fut ce qu’il voulait être, et il ne souhaita jamais d’être autre chose ; il fit ce qu’il voulait faire, et il le fit bien. « Vous devez avoir une vaste et magnifique terre, disait Candide au bon Turc qu’il rencontra sous un berceau d’orangers. — Je n’ai que vingt arpens, » répondit le Turc. Henry Reeve cultiva si bien ses vingt arpens que son jardin rapporta beaucoup, et qu’il se mêla quelque gloire au profit qu’il en retirait.

Les fonctions publiques qu’il exerça n’étaient pas de celles qui mettent un homme en vue : la Reine le nomma en 1853 registrar du Conseil privé, auquel il avait été attaché en 1837 comme clerc des appels. Durant quinze ans, il fut un des principaux rédacteurs du Times, où il écrivit près de 2 500 articles, qui équivalaient, disait-il lui-même, à quinze volumes in-8o de cinq cents pages chacun, et lui avaient rapporté, ajoutait-il, plus de 13 000 livres sterling.

En 1856, il devint directeur de la Revue d’Edimbourg, et, peu après, le conseiller littéraire d’une grande maison de librairie. Il s’acquitta à son honneur de tous les métiers dont il tâta. Ce registrar faisait si bonne figure dans le Conseil privé qu’en 1871, il fit parler de lui à la

  1. Memoirs of the Life and Correspondence of Henry Reeve, by John Knox Laughton, 2 vol. in-8o ; Londres, 1898, Longmans, Green et Cie.