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la mise en demeure de Keremallah (27 mai 1884). Il avait déjà appris les défaites répétées des troupes égyptiennes, et l’anéantissement de l’armée d’Hicks-Pacha au Kordofan. Il savait ses magasins vides, sa poudrière pauvre en munitions. S’exagérant la puissance du Mahdi, et ayant d’ailleurs perdu tout sang-froid, il décida qu’il n’y avait qu’à se soumettre. Cependant, après quelques jours de réflexion, il se ravisa et envoya au camp mahdiste des parlementaires, qui se transformèrent immédiatement en transfuges. Keremallah exigeait une reddition sans conditions et commença la conquête méthodique de la province. Il investit d’abord le petit poste d’Amadi et le prit, en mars 1885, difficilement d’ailleurs et après un siège de plusieurs mois.

Mais alors, par un revirement subit, au lieu de continuer régulièrement la campagne, il partit pour Khartoum. Fut-il rappelé par le Mahdi ? Fut-il effrayé d’une défaite que ses troupes subirent en rase campagne à Rimo ? On ne sait. Mais cette retraite inattendue sauva la province équatoriale.

Si, en effet, elle échappa à la domination mahdiste, alors que tout le Soudan égyptien se laissait subjuguer, c’est parce que l’ennemi l’attaqua mollement d’abord, puis se retira. Les écrivains allemands se trompent donc en faisant gloire à Emin d’avoir sauvegardé son indépendance.

On ne commettrait pas une moindre erreur en attribuant cette situation exceptionnelle à l’efficacité des secours envoyés d’Egypte. A l’époque même où Keremallah se dirigeait vers Khartoum, le gouvernement égyptien prenait la résolution de se désintéresser désormais entièrement du Haut Nil. Le 27 mai 1885, Nubar-Pacha, président du Conseil des ministres, écrivait en ces termes à Emin :

Caire, 13 Chaban 1303 (27 mai 1885).

A Emin-Pacha, commandant de Gondokoro[1].

Le soulèvement du Soudan oblige le gouvernement de Sa Hautesse à abandonner ces régions. En conséquence, nous ne pouvons vous envoyer aucun secours. D’autre part, nous ignorons dans quelle position vous vous trouvez, vous et vos hommes. Nous n’avons donc aucune ligne de conduite à vous indiquer. Si nous vous demandions de nous informer de votre situation pour vous envoyer des ordres en conséquence, trop de temps serait perdu, et cette perte de temps pourrait aggraver votre situation. Cette

  1. Cette lettre a été publiée en allemand par M. Georg Schweitzer, Emin Pascha, etc., p. 315.