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plus sûrement que la troisième expédition avait confirmé les rapports de la seconde, comme celle-ci ceux de la première.

La diffusion de ces notions provoqua un certain mouvement commercial. De simples particuliers, les uns Européens, les autres Arabes équipèrent à leurs frais des bateaux et partirent de Khartoum pour aller chercher sur les rivages du Haut Nil ces dents d’éléphant qu’on y disait être si abondantes. Les indigènes leur vendaient de l’ivoire, pour des verroteries et de menus objets sans valeur. Peu à peu, ils s’aventurèrent à droite et à gauche du Nil Blanc, dans des contrées restées inconnues aux explorateurs de 1839-42, et entrèrent aussi dans le Bahr-el-Ghasal. Ils y fondèrent bientôt des établissemens à demeure, des zéribas, postes fortifiés, entourés d’une épaisse haie vive, où leurs commis résidaient en permanence.

Malheureusement, au commerce licite de l’ivoire, vint bientôt s’ajouter l’abominable trafic de la traite des esclaves. Dans tout le Soudan égyptien, on s’y livrait sans contrainte ni mystère. Chaque année, les soldats de l’armée régulière, encadrés par leurs officiers, quittaient leurs garnisons de Khartoum, de Sennar ou d’El Obeid, pour aller enlever des nègres dans les montagnes du Fazoql et du Nouba. Les découvertes de 4839-42 avaient agrandi le domaine de la chasse à l’homme. Vers 1860, les négocians européens se retirèrent, et dorénavant on vit plus nombreux chaque année sur les marchés de Khartoum, de Berber et du Caire ces Dinkas, ces Chillouks, ces Berris, enlevés sur les bords du Nil par ces pirates qu’on nommait des Dongolais.

Pendant bien des années, on n’en saurait donc douter, le gouvernement égyptien fit peu de cas des régions du Haut Nil. Quelle absence d’esprit de suite dans sa politique ! Il arme à ses frais des expéditions qui sont assez heureuses pour découvrir des pays féconds en ressources et d’accès facile. La prise de possession semblait la conséquence logique de l’exploration. Le gouvernement se désintéresse, au contraire, des contrées qu’il a, pour leur plus grand malheur, du reste, tirées de l’obscurité qui les couvrait.

A Khartoum, le commerce du Haut Nil nourrit quantité de gens. Les gouverneurs généraux du Soudan voient, de la terrasse de leur résidence, les dahabiés appareiller chaque année en octobre pour le sud, et revenir en mars. Cependant ils ne tentent même pas de mettre le holà aux actes de brigandage qui se commettent dans ces régions où règne seul le droit de la force.