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cependant, et sans vouloir violer ce qu’il y a de plus intime dans les profondeurs de l’âme, nous cherchons par lesquels de ses caractères le catholicisme a le plus sensiblement agi sur les non-catholiques des États-Unis, il semble qu’on en puisse indiquer jusqu’à trois.

Il y a d’abord ce que le cardinal Gibbons appelle quelque part « la force d’attraction de l’Eglise romaine ; » et de cette force d’attraction, je pense que la raison en est, s’il m’est permis d’user ici de ces images physiques, dans la masse, dans la cohésion et dans la densité de la doctrine. En 1893, il y avait aux États-Unis 143 sectes ou « dénominations » différentes[1], dont la statistique en comptait sept comme catholiques, ce qui d’ailleurs est peu conforme à la vérité, si les vieux-catholiques, de l’école de Döllinger, sont en dehors du catholicisme romain, et aussi les Russes ou les Grecs orthodoxes. Les Grecs « uniates » seuls appartiennent au corps de l’Eglise catholique, avec lequel ils ne font qu’un, non pas deux, et la comparaison doit donc ainsi s’établir de 141 autres sectes, ou dénominations, à la seule Eglise romaine. 5 millions de méthodistes ne forment pas moins de dix-sept dénominations différentes, et 1 300 000 « luthériens » se divisent en dix-huit autres. Dans cet éparpillement de sectes, l’unité seule de l’Eglise catholique suffit déjà pour imposer. Sa continuité dans l’histoire, l’uniformité de son enseignement, la solidarité de tous ses membres entre eux, l’organisation de sa hiérarchie sont autant de signes de force ; et les Américains aiment les manifestations de la force. Ce sont autant de promesses de développement, ou de succès ; et les Américains aiment le succès. Il y faut ajouter l’éclat des cérémonies catholiques ; et les Américains aiment le faste. En 1884 et en 1889, les habitans de Baltimore n’ont pas été du tout insensibles au déploiement des pompes catholiques dans les rues de leur grande ville, et les années écoulées ne leur en ont pas fait oublier l’émouvant spectacle : impressive and memorable sight[2]. C’est qu’aussi bien, ces cérémonies elles-mêmes, et cette hiérarchie, et cette solidarité, tout cela qu’on est parfois tenté de croire extérieur, manifeste au contraire le trait essentiel du catholicisme. Qui donc a dit que « l’essence de la religion réformée était d’être une protestation contre l’organisation du

  1. J’emprunte ces indications au remarquable rapport du Rév. H. K. Carroll, Government census of Churches, in the Parliament of Religions, p. 690.
  2. D. C. Gilman, Baltimore, dans le Saint-Nicolas d’août 1893.