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par Mgr Ireland : « Si ce mémoire avait réussi, — c’est le Mémoire Cahensly, 1890, — le résultat eût été de rendre tout notre épiscopat suspect au gouvernement, qui l’eût regardé comme une légion d’étrangers campés sur le sol de la République. En Amérique, nous choisissons et nous voulons choisir nos évêques… n’importe la race, mais nous ne voulons pas que des étrangers nous les imposent. Nous reconnaissons l’autorité supérieure du chef suprême de l’Église, mais nous ne voulons pas que les étrangers s’imaginent que nous sommes encore un pays du Congo, qu’on peut se partager à volonté. » A quelque point de vue que l’on se place, l’archevêque de Saint-Paul avait évidemment raison. Le temps de « camper » en Amérique est passé. On y habite, on y a « pris racine. » L’Amérique est une nation ; elle est une patrie ; et l’Eglise catholique ne peut qu’y être « américaine » comme elle est française en France, allemande en Allemagne, espagnole en Espagne. Aussi, tout récemment, au lendemain de la victoire de Santiago, le même archevêque de Saint-Paul, parlant à son peuple dans sa cathédrale de Saint-Paul, pouvait-il s’écrier : « Nous avons le droit de contempler avec quelque joie l’avenir qui s’ouvre devant l’Amérique, car nous sommes ses fils, et des fils qui ne le cèdent à personne en fidélité pour l’Amérique. Dans la présente guerre, ni sur terre ni sur mer il ne s’est livré une bataille où nos soldats et nos marins catholiques n’aient exposé leur vie pour la défense de l’Amérique. Et, dans la plupart de nos Etats, les statistiques démontrent qu’à proportion de leur nombre, les catholiques ont fourni plus que leur contingent pour la défense de l’Amérique[1]. » C’est qu’en effet ni la sincérité des convictions religieuses n’a jamais nui à l’ardeur du patriotisme, ni l’ardeur du patriotisme à la sincérité des convictions religieuses. Mais, si telle est la leçon de l’histoire, combien l’application n’en est-elle pas plus évidente qu’ailleurs là où, comme en Amérique, la force de l’Eglise est d’abord dans son groupement ? et voit-on ici comment la nécessité de ce groupement, les exigences de l’œuvre commune, et enfin le mélange même du sentiment religieux avec le sentiment patriotique, ont travaillé tous ensemble à tempérer ce qu’il pouvait y avoir d’excessif dans l’individualisme de quelques catholiques américains ? « La vie

  1. Ce très beau Discours, prononcé dans la cathédrale de Saint-Paul, a été traduit par M°’ la comtesse Parravicino di Revel, dans la Rassegna Nazionale, du 1er septembre 1898.