Parmi les phénomènes caractéristiques de cette fin de siècle, je n’en connais guère de plus intéressant, de plus significatif à tous égards, ni, en vérité, de plus paradoxal que le développement du catholicisme aux États-Unis. Comment ceux qui n’étaient, il y a cent vingt-cinq ans, qu’un peu plus du centième de la population de l’Union, 30 ou 40 000 âmes sur 3 millions d’habitans, en sont-ils devenus le septième, 9 ou 10 millions sur un chiffre qui n’atteint pas encore tout à fait 65 millions ? et comment, de toutes les confessions qui se partagent « l’un des peuples les plus religieux » du monde, la plus nombreuse, et bientôt la plus riche ? Sur ce vaste territoire où l’on ne comptait en 1789 qu’un seul siège épiscopal, comment se fait-il qu’il y en ait aujourd’hui quatre-vingt-huit, 8 000 prêtres où l’on n’en comptait alors qu’une trentaine, 6 000 églises où je ne crois pas qu’il y en eût seulement dix ? Et, pour tout résumer d’un seul trait, comment se fait-il enfin qu’une ville, jadis fondée par des marchands protestans, et devenue le juste orgueil de la puissance anglo-saxonne — c’est New-York que je veux dire[1], — soit actuellement, après Paris, et avec Vienne, la plus grande ville catholique du monde ? La liberté, comme on le dit, a-t-elle toute seule accompli cet ouvrage ? Mais la liberté, qui est la condition de tout, n’est l’ouvrière agissante ni la raison de rien ; et il faut chercher plus profondément. S’il y a des causes particulières et locales, des causes vraiment « américaines » de ce
- ↑ En y comprenant Brooklyn et Jersey City.