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Viollet-le-Duc a écrit à ce sujet les pages les plus convaincantes : « Il est évident, a-t-il dit, que si on construit avec du fer, on ne peut obtenir les formes monumentales qu’accuse la pierre, ou que, si on tente de le faire, on procède à faux. La question est de savoir si le fer se prête à des formes monumentales quelconques dérivées de l’emploi judicieux de cette matière ; si l’architecture consiste seulement dans l’emploi de certains matériaux, à l’exclusion de certains autres ; et si, parce que ni les Grecs ni les Romains, ni les maîtres du moyen âge n’ont employé le fer dans leurs grandes constructions, il n’est possible de trouver la forme architectonique qui lui convient ? M’est avis que les Grecs et les Romains, s’ils eussent possédé nos usines, auraient, avec leur sens pratique, trouvé à donner aux constructions en fer les apparences déduites de l’emploi de ces matériaux[1]. » Il y a plus de vingt ans que ces lignes ont été écrites, et il paraît que, malgré tout, le fer laisse encore nos architectes indécis et inquiets sur le rôle qui peut lui être attribué au point de vue de l’art dans la construction. Vainement Boileau, ce précurseur, l’auteur de la coupole de l’église Saint-Augustin, a soutenu en sa faveur, durant un quart de siècle, la lutte la plus opiniâtre ; vainement nous avons vu s’élever la galerie des machines et les autres palais de l’Exposition de 1889 qui ont laissé dans tous les yeux comme un mirage éphémère de grâce imposante ; vainement le fer est devenu l’auxiliaire précieux, indispensable, dont on use à tout propos à présent dans les vastes édifices aussi bien que dans les moindres maisons de rapport ! on s’obstine à lui refuser une véritable valeur esthétique ; on le confine dans les rôles d’utilité ; on l’exclut des grands emplois ; on lui dénie les propriétés décoratives et sentimentales qui prêtent à un monument les caractères de la beauté. En un mot, le fer reste un accessoire. Les architectes dédaignent de le mettre en valeur et n’osent pas l’affirmer avec franchise. Pour la prochaine Exposition universelle de 1900, on consent à l’employer dans les nombreux édifices destinés à disparaître ; mais pour les palais des Beaux-Arts, élevés aux Champs-Elysées, et qui doivent subsister, MM. Giraud, Deglane et Thomas ont estimé que la pierre seule, « la noble pierre, » était digne d’y contribuer.

Il n’est pas très difficile, en vérité, de comprendre les raisons

  1. Viollet-le-Duc, dans le journal l’Art, t. XIII, p. 238.