Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À ce point, l’amour devient de l’adoration, et la fidélité un culte. Dans la banlieue même d’Utrecht, à Driebergen, un charpentier ou un menuisier de village, ayant brossé de son mieux une toile qui représentait la Reine dans ses vêtemens d’apparat, la couronne en tête et le manteau de pourpre tombant des épaules à plis lourds, avait, pour l’exposer, couvert et clos sa cour, qui s’était ainsi transformée en une espèce de chapelle : rien n’y manquait, ni, le jour, les fleurs, ni, le soir, les lumières : dans la nuit, au bout de la grotte, éclairée ingénieusement à travers la transparence du tissu, toute blanche et toute rouge, virginale et royale, Wilhelmine resplendissait.

Nuntio vobis gaudium magnum : joie publique et joie privée, joie de la nation et de la famille, joie de la rue et de la maison ; toute démonstrative et extérieure qu’elle était, l’allégresse de tous gardait cependant pour chacun l’air ému d’un bonheur intime. Une longue quinzaine durant, d’une extrémité du royaume à l’autre, ce n’ont été que réjouissances, cortèges historiques, illuminations, réceptions et dîners, — car on ne concevrait pas que la Hollande n’eût pas célébré même à table l’avènement de sa jeune Reine. — L’un de ces cortèges historiques, à Zeist, figurait une entrée dans une de leurs bonnes villes des grands Orange-Nassau. Les commissaires allaient devant en landau, recueillant les applaudissemens et saluant avec gravité ; puis venait une chevauchée d’habits noirs et de chapeaux hauts de forme : les gros fermiers de la région, montés sur leurs plus belles bêtes ; et derrière, précédant des chars allégoriques, les hauts seigneurs et les vaillans guerriers que furent le Taciturne, Maurice, et Frédéric-Henri. Ils avaient vraiment fière tournure ; de l’histoire vivante passait vraiment en eux ; et c’était cette histoire vivante qu’en eux contemplaient et admiraient de tout leur cœur des hommes comme le docteur Schaepman ou M. Fransen van de Putte, qui savaient pourtant, et n’oubliaient pas, que ce faux Maurice était le boulanger, et ce faux Guillaume le boucher du village.

Non loin de Zeist, à Doorn, autre programme : un déjeuner réunissait la commune entière, enfans et vieillards, riches et indigens, sur la pelouse du château, et les invités s’y rendaient processionnellement, tenant des rameaux ou des bannières, aux larges et mâles accens du Wilhelmus, dans le flamboiement d’un midi italien, — « le soleil d’Orange. » — De même qu’ailleurs,