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archaïque, reproduits sur les modèles primitifs à l’aide de moules conservés par la supérieure, qui garde le vieux nom de maîtresse. Près de l’entrée, une religieuse distribue à quelques pauvres l’aumône journalière, prescrite par Rolin : elle devait, aux termes de la fondation, représenter en pain blanc la valeur de cinq sols tournois et monter au double en carême. Et de plus en plus l’impression qui se dégage pour nous et domine toutes les autres, c’est celle de la continuité et de la durée, impression si rare en France et que je n’ai sentie que là : celle de l’autrefois marqué en toutes choses, non pas immobilisé en rigides attitudes et en magnificences mortes, mais intime, familier, mêlé aux actes les plus humbles et les plus simples, associé au train ordinaire des choses, fondu dans le présent et vivant avec lui, d’une vie indomptable et tranquille qui coule lentement à travers les siècles.

Vieille délicieusement et pourtant d’usage annuel, reparaissant à époque fixe, la parure que prend l’hôtel pour les jours de Fête-Dieu et qui est maintenant toute posée ! Une ceinture de tapisseries se déploie sur les quatre faces de la cour, s’élève de terre et monte assez haut, passe sous la galerie inférieure, s’enfonce dans les angles de la muraille et en suit les contours, et voici que des légendes en action, des histoires de miracles, des processions de saints et de guerriers, des perspectives de villes orientales, avec des emblèmes, des écussons, des devises, font à l’édifice qui nous ravit un merveilleux soubassement.

Il faut longer de près cette bande multicolore, comprenant quatre-vingt-quatre tapisseries : tout y mérite d’être vu. Sur notre gauche, à partir du seuil, une traînée rouge s’allonge, une succession de tapis d’un bel éclat de vermillon, à peine amorti par le temps. Sur ce fond se détachent, brodées à intervalles réguliers, les armes des fondateurs et l’énigmatique devise : Seulle. Ces six lettres gothiques, s’inscrivant en blanc, ont intrigué les érudits et fait le sujet de doctes disputes. Faut-il y voir la plainte éplorée de Guigone après son veuvage ? Il est établi au contraire que Rolin prit lui-même cette devise au lendemain de son mariage avec Guigone. Voici l’explication la plus plausible. Lorsqu’il épousa Guigone, le chancelier convolait en secondes noces : il voulut attester solennellement qu’il s’en tiendrait là, que Guigone seule, vivante ou morte, occuperait désormais son cœur. Encore fut-ce moins de sa part témoignage d’amour que flatterie au pouvoir ! Le duc Philippe venait de se remarier lui-même avec Isabelle