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les Français de bon sens, un vif désir de vivre en bonne harmonie avec l’Angleterre ? C’est bien à tort, assurément, qu’on a pu croire à Londres qu’il y avait dans l’expédition de Fachoda la moindre intention hostile. M. Delcassé, qui a été autrefois ministre des colonies, connaît mieux que personne les origines de cette mission : elles datent de 1893, d’un moment où l’Angleterre ne pensait pas encore à reprendre le Soudan, ou du moins n’en avait pas parlé. Depuis, au mois de mars 1895, les déclarations de sir Ed. Grey se sont produites ; mais elles ont appelé aussitôt des réserves de notre part, et le gouvernement anglais n’y a fait aucune objection. Les choses entamées, les entreprises commencées ont suivi leur cours. Ce n’est pas, au début, le commandant Marchand, mais M. Liotard, qui était chargé d’étendre le plus possible vers le Nord-Est notre colonie de l’Oubangui. On s’attendait alors à rencontrer devant soi le Mahdi et non pas les Anglais. Et quel est le droit que ceux-ci, au nom des Egyptiens comme au leur, invoquent maintenant ? C’est le droit de conquête, exercé par eux contre le Khalifat. Le droit de conquête, conséquence de la bataille d’Omdurman, a donné à l’Angleterre et à l’Égypte tous les territoires du Khalifat. Soit ; mais, s’il en est ainsi, le même droit appartenait à tous ceux qui ont pu l’exercer avant les Anglais, car le droit de conquête est limité par la conquête antérieure. Le commandant Marchand s’est emparé de Fachoda sur les derviches, auxquels la place appartenait d’après la thèse de lord Salisbury. Il a repoussé leurs assauts. Nous maintenons donc notre droit ; mais encore une fois, nous n’avons aucune intention d’en abuser, et nous sommes tout prêts à nous entendre avec l’Angleterre au sujet d’un point qui est à nos yeux de moindre prix qu’aux siens. Nous espérons seulement, avec M. Delcassé, qu’on ne nous demandera pas l’impossible, et qu’on ne fera pas artificiellement une question d’honneur de ce qui doit rester une question d’intérêt.


En attendant, l’empereur Guillaume fait annoncer qu’il n’ira pas en Égypte. Son voyage d’Orient se bornera à Constantinople et à Jérusalem, ce qui n’en diminue pas l’importance, mais ce qui peut en supprimer quelques embarras. D’après les journaux allemands, l’Empereur renonce à visiter l’Égypte, parce qu’il désire être à Berlin pour l’ouverture du Reichstag. C’est une explication, et nous l’acceptons avec la même simplicité qu’on la donne. Toutefois, il est un peu surprenant que l’Empereur, qui songe à tout, ait oublié si longtemps l’importance de la session du Reichstag et ne s’en soit souvenu que ces derniers jours. Mais cet homme est heureux en tout, et la décision qu’il vient