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finalement de la même manière ! Quoi qu’il en soit, nous n’avions aucun motif personnel de prendre part à la démarche à quatre qui vient de se faire à Constantinople, sinon de marcher jusqu’au bout d’accord avec l’Angleterre. L’aurions-nous fait, si nous avions eu contre elle de mauvais desseins ? On parle du Siam, car de quoi ne parle-t-on pas ? Il nous semble que, voilà trois ans, nous avons fait avec l’Angleterre un arrangement au sujet du Siam et qu’il a été également apprécié dans les deux pays. L’aurions-nous fait si, là encore, nous avions eu des projets agressifs ? On parle de la Tunisie, de Madagascar : en Tunisie, à Madagascar, nous n’avons eu de cesse avant d’être arrivés à une entente amiable avec l’Angleterre, et nous y sommes enfin parvenus. Partout, sur tous les points de l’univers où nous sommes, nous avons fait et nous continuons de faire les plus grands efforts pour vivre en bonne intelligence avec nos voisins, et même pour servir leurs intérêts lorsque les nôtres n’y sont pas contraires : lorsqu’il y a opposition entre eux, nous cherchons un accord presque à tout prix. Que peut-on nous demander de plus ? Assurément tout cela ne va pas sans difficultés. La vie de deux grands pays qui ont des colonies dans presque toutes les parties du monde est une vie de transactions continuelles. Parfois, et sans qu’il y ait de la faute de personne, des froissemens imprévus se produisent, et les diplomates se mettent aussitôt en campagne pour en arrêter ou pour en réparer les suites. Mais toujours nous avons apporté à l’égard de l’Angleterre le même esprit de conciliation. On parle de l’Extrême-Orient : nous y avons procédé de la même manière. Nos intérêts, étant comme confinés au sud de l’immense continent asiatique, n’apportent aucune gêne à ceux des autres puissances ; aussi tous nos efforts ont-ils tendu à rapprocher et à concilier les intérêts d’autrui. Nous avons constamment recherché l’amitié de l’Angleterre, parce que nous en connaissons le prix ; mais l’amitié de la France a aussi le sien et elle mérite d’être entretenue par de certains ménagemens. Est-ce ménager nos susceptibilités les plus légitimes que d’aborder la question de Fachoda par le côté irritant, offensant même, alors qu’il suffirait d’en choisir un tout autre pour arriver à une solution acceptable pour les deux pays ?

Nous sommes convaincus que le gouvernement anglais le comprendra. Il semble même que la publication du Livre Bleu, quel que soit le résultat qu’on en ait espéré, ait produit tout d’abord un commencement de détente. Comment n’être pas frappé de l’accent de loyauté de M. Delcassé ? Comment douter qu’il n’y ait chez lui, comme chez tous