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Contre la porte aux panneaux sculptés, — portant dans sa voussure cette inscription : Hôtel-Dieu, 1443 — deux merveilles de ferronnerie s’appliquent : la grille qui protège le guichet, le heurtoir en métal ciselé. Sur le dos du heurtoir, une salamandre se contourne, avec des souplesses de couleuvre courte. Une mouche vient de se poser devant la gueule du monstre et reste immobile, comme fascinée : notre compagnon la touche ; elle ne bouge : elle est de métal aussi et là depuis des siècles, mais trompe le regard à force de ressemblance avec la nature. Au seuil du lieu où l’on vient souffrir et où l’on craint d’entrer, la compassion des vieux âges a mis cette amusette, en guise de sourire et de bienvenue.

La porte se fend dans sa hauteur : ses vantaux s’écartent : un passage voûté et frais, discrètement colorié, nous mène, entre deux tours carrées d’une belle teinte d’ocre, à une grande lumière. Nous sommes dans la cour principale, au cœur de l’édifice, au centre de ses enchantemens, et tout de suite la poésie de ce lieu charmeur nous prend : un lieu très doux, plein de passé et toutefois vivant, avec beaucoup de soleil et de grandes ombres, des plantes, des arbustes, de la verdure, mêlées à des choses très vieilles ; de vives et fraîches fleurs, au coloris ardent, s’enlaçant à de grises fleurs de pierre : des tapisseries de haute lisse que l’on pose et qui déroulent leurs surfaces diaprées : parmi ces apprêts, un va-et-vient de blancheurs, des voiles neigeux et des hennins pareils à ceux que l’on voit sur les peintures à fonds d’or des siècles lointains : des dames du moyen âge vouées au blanc, des religieuses à l’air de châtelaines. Et ces surprises, ces évocations ont pour cadre un exquis décor d’art, une architecture qui s’élance, qui fuse en minces arceaux et en ogives flamboyantes, qui surgit en campaniles, en clochetons, en pinacles, en flèches, en aiguilles, et se dore à son sommet d’emblèmes héraldiques.

La cour assez longue, moins large, est enclose de quatre bâtimens inégaux, avec de grands toits à tuiles vernissées, luisantes, où le soleil allume des flambées d’étincelantes paillettes. Le bâtiment que nous laissons derrière nous, après avoir franchi le seuil, est l’envers de la grande nef qui donne sur la rue : il est à peu près nu et vide d’ornemens. A droite, un pavillon Louis XIV déploie sa carrure, imposant avec ses deux fenêtres à la Mansard en saillie sur le toit et son œil-de-bœuf entre elles, assez sot pourtant et l’air dépaysé. Sur les deux autres faces de la cour,