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ne faut pas qu’on s’y méprenne en Angleterre. Quelle que soit l’ardeur de nos divisions intérieures, nous sommes tous d’accord lorsqu’il s’agit d’une question nationale, et nous soutenons, sans regarder à sa couleur politique, un ministre qui défend l’intérêt et la dignité du pays. On trouvera peut-être qu’il y a quelque exagération à qualifier la question de Fachoda de question nationale, et dans toute autre circonstance nous n’aurions pas employé une épithète aussi solennelle ; mais c’est le gouvernement anglais, par l’importance qu’il a donnée à cette affaire et par la manière dont il l’a traitée jusqu’ici, qui nous oblige à nous hausser au ton qu’il a jugé convenable de prendre lui-même. Non pas, assurément, que lord Salisbury, à Londres, et sir Edmund Monson, son ambassadeur à Paris, n’aient pas toujours présenté leurs exigences sous les formes de la plus parfaite courtoisie. Toutefois, si l’on va au fond des choses, ces exigences sont les mêmes que la presse anglaise, avec une unanimité remarquable, a revêtues de formes beaucoup plus rudes. Depuis longtemps on n’avait assisté, dans aucun pays, à une aussi violente explosion de chauvinisme, mêlée de colères et de Menaces qui, s’adressant à un pays comme la France, vont directement à l’encontre du but qu’elles se proposent. Nous n’avons pas l’habitude de nous entendre parler de la sorte. L’Allemagne, dans les jours où la mauvaise humeur brutale de M. de Bismarck se communiquait à toute la nation et s’exprimait par tous ses journaux, l’Allemagne a toujours eu plus de ménagemens à notre égard. Nous avions cru d’abord qu’il n’y avait là qu’une émotion passagère provoquée par la nouvelle, assurément déplaisante, que le commandant Marchand était arrivé le premier à Fachoda. Il nous avait même semblé, il y a quelques jours, que cette émotion commençait à se calmer. Mais, depuis, la polémique contre nous a repris toute sa violence, et il semble en vérité que le ton correct, réservé, contenu, de la presse française n’a fait qu’aggraver celui de nos voisins. Cependant nous ne les imiterons pas.

Que veut-on de nous ? Si on fait appel à notre esprit de conciliation, nous avons déjà dit, et M. Delcassé n’a pas cessé de faire entendre que nous nous appliquerions à rendre notre réponse satisfaisante. Mais si on nous cherche de propos délibéré une mauvaise querelle, nous n’y pouvons rien, et nous ne devons dès lors prendre conseil que de notre dignité. M. Delcassé, dans la plus importante de ses conversations avec sir Edmund Monson, après s’être montré amical, conciliant, obligeant même, après avoir protesté de ses bonnes dispositions dans des termes qui ne permettaient pas de les mettre en doute, a conclu néanmoins qu’il ne fallait pas lui demander l’impossible. Il