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probable que la mise en demeure qu’on leur adressait n’était que pour la forme : c’était le premier acte d’une procédure qui devait conduire à la mise en régie des travaux de terrassement exécutés pour la Ville. À cette mise en régie, les entrepreneurs ne devaient faire aucune objection : ils avaient proposé eux-mêmes aux ouvriers de leur abandonner les travaux de terrassement et de leur remettre cette partie de l’entreprise avec ses chances de perte ou de gain. Les ouvriers avaient refusé, préférant un salaire, dont ils demandaient d’ailleurs la majoration, aux risques qu’ils auraient courus en se substituant aux entrepreneurs. Mais ceux-ci, effrayés sans doute des difficultés qui se dressaient devant eux, ne tenaient plus à conserver l’entreprise des travaux de terrassement. Si la Ville voulait les prendre à sa charge, assurément ils ne s’y refuseraient pas ; ils s’y prêteraient même volontiers par la location de leur matériel. Par malheur, la résolution votée par le Conseil municipal est allée plus loin. La Ville, en cas de refus des entrepreneurs de continuer les travaux avec des salaires conformes aux prix de série, la Ville se charge bien de les faire exécuter elle-même ; seulement, ce sera aux frais des entrepreneurs. Telle est la solution qui a été adoptée. M. le préfet de la Seine n’y a fait aucune objection ; il a même annoncé qu’il était prêt à l’exécuter. Subsidiairement, il a été autorisé à résilier à l’amiable les marchés en cours, au mieux des intérêts de la Ville de Paris et de l’ordre public. Nous avouons ne pas comprendre très bien comment ces résolutions à moitié comminatoires seront réalisées dans la pratique. Si M. le Préfet procède par la résiliation des marchés, il ne trouvera sans doute aucune résistance auprès des entrepreneurs ; mais s’il fait exécuter les travaux à leurs frais, il n’échappera à une difficulté immédiate que pour en faire naître d’autres dans l’avenir. La question sera portée devant les tribunaux, et on peut apercevoir dès aujourd’hui une longue série de procès dont les frais devront une fois de plus être supportés par les contribuables. Si les entrepreneurs se soumettent, et on annonce au dernier moment qu’ils y sont résignés, ce sera sous une pression qui a tous les caractères de la force. Il n’y a donc là qu’une solution provisoire et empirique, et, à l’heure où nous écrivons, nous ne pouvons même pas dire si elle mettra fin à la grève. À supposer qu’elle le fasse, ce sera pour donner aux ouvriers un encouragement à en susciter bientôt de nouvelles.

Quant au gouvernement, il n’a pas essayé, au moins en apparence, d’exercer la moindre action dans toute cette affaire. Il s’est contenté de maintenir l’ordre dans la rue, ce qui est tout à fait conforme aux