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maintenant dans la tristesse, mais je vous reverrai, votre cœur se réjouira et nul ne vous ravira votre joie. » De tout le Requiem allemand, s’il fallait ne garder qu’une seule page, la plus précieuse, voilà celle qu’on devrait choisir. Je ne la relis jamais sans penser à l’un de nos illustres confrères, à celui qui fut le plus cher ami de Brahms et peut-être son plus fervent admirateur. Familier d’un tel homme et d’une telle œuvre, comment le Dr Hanslick a-t-il pu soutenir que la musique ne contient et n’exprime rien, qu’elle n’est autre chose qu’une arabesque, animée sans doute et vivante, mais pourtant une arabesque de sons ? Il n’a donc pas entendu, à l’apogée de cet air, en deux mesures qu’on voudrait pouvoir citer, un cri véritable, un cri divin de miséricorde et d’amour ! Il est donc demeuré sourd à la ravissante promesse : « Je vous reverrai, » que renouvelle trois fois une voix qui s’éloigne et s’éteint, mais en promettant toujours ! Non, non, la musique, et cette musique, n’est pas sa propre fin. Elle est signe et symbole. Derrière elle, en elle, il y a la sensibilité, il y a la vie et l’âme. Il y a le pouvoir. — un pouvoir où n’atteint pas la parole, — de consoler, et même de convaincre. Pour moi, je ne sais pas de mots qui me fassent croire plus fermement que ces notes à l’éternel revoir et à l’éternelle paix. Et cette paix, en attendant ce revoir, le Requiem de Brahms déjà l’établit en nous. Il nous délivre de l’agitation et du trouble où trop d’œuvres actuelles nous plongent. Nous sommes devenus, même en musique, « le peuple inquiet dont parlait le prophète, qui veut toujours être en mouvement et ne sait point se reposer. » Bénis soient les grands artistes qui non seulement nous promettent ce repos, mais dès aujourd’hui nous le donnent !


CAMILLE BELLAIGUE.