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joie un peu triste, de la lassitude présente et du repos espéré. « Heureux ceux qui souffrent ! » La musique multiplie cette assurance avec fermeté, mais avec un peu de réserve aussi, pour ménager les âmes douloureuses, pour ne les point irriter en affirmant sans pitié, sans égards pour leur souffrance présente, aiguë, que cette souffrance est un bien. Selig ! Selig ! Le doux mot allemand revient sans cesse, en appogiatures caressantes, en notes qui s’appuient ou s’abaissent à des notes inférieures. Il descend, il tombe mollement, comme cette rosée du matin et du soir, que Brahms nous montre un peu plus loin, patiemment attendue par le laboureur.

Ailleurs, au contraire, la musique s’élance et monte. Sur les sommets une flamme s’allume, très pure, très chaude, et qui fond le cœur. C’est l’admirable éclat sur les paroles : « Ils ont semé dans les larmes, ils moissonneront dans l’allégresse. » C’est la reprise, à plein orchestre et à pleines voix, d’une marche funèbre avec chœurs, que j’aime encore mieux faible d’abord et murmurante, que plus loin toute retentissante de clameurs terribles. Quand pour la première fois elle se déroule, elle semble conduire de jeunes dépouilles, mener le deuil d’une vierge ou d’un enfant. Elle n’a pas alors la pompe héroïque que donne Beethoven à ses cortèges de mort ; rythmée à trois temps, elle s’avance plus humble et comme à plus petits pas. Mais elle exprime d’exquises nuances de douleur, et je sais peu de traits aussi touchans que l’entrée des voix féminines, seules à redire avec un triste et tendre étonnement : » L’herbe est flétrie et la fleur fanée. »

Il est telle page de l’œuvre sacrée, où la nature, la terre elle-même sourit. « Que tes demeures sont aimables, ô Seigneur, Dieu des armées ! » Brahms a fait de ce cantique un lied ingénu. Avec le seul mot : Sabaoth, la grâce de la mélodie ne s’accorde peut-être pas. Mais ce désaccord même est agréable, et par un certain côté très allemand. Brahms se montre bien ici le compatriote et le continuateur non seulement de Beethoven, mais d’un maître plus ancien et plus naïf : de ce Haydn à l’âme pieuse et rustique, dont on a dit que le premier il avait ouvert la fenêtre. Ici, de même, une fenêtre de l’église, fût-ce en un jour de deuil, s’ouvre sur la campagne, sur une prairie où se dressent des tentes : celles du Dieu des pasteurs qu’est aussi le Dieu des armées.

Enfin, voici la cime la plus haute et d’où l’on voit le plus de ciel. Voici le chant par excellence de la consolation et de l’espoir ; un chant que n’oublieront jamais, l’ayant une fois entendu, les pauvres âmes orphelines ou veuves ; un chant qu’en pleurant ses morts, on voudrait se rappeler toujours, pour les pleurer moins amèrement. « Vous êtes