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Cette page insigne débute par un court prélude d’orchestre. Il est fait des notes les plus importantes, je veux dire celles qui correspondent à la pensée et aux paroles maîtresses : « Je vous reverrai, Ich will euch wiedersehen ; » pensée de consolation, promesse du retour et du revoir divin. Et dans la figure même, dans le double mouvement de ce peu de notes, il y a quelque chose qui semble revenir en effet, quelque chose qui, s’étant éloigné, élevé d’abord, redescend aussitôt et se rapproche. Puis la voix commence à chanter : « Vous êtes maintenant dans la tristesse. » Traurigkeit ! ce grand mot allemand si profond, si mélancolique, est répété trois fois, et chaque fois la musique y insiste davantage, et plus tristement. Voilà la première période ; dans le grand édifice total, voilà le premier édifice, plus petit, mais déjà parfait. Et, dans la phrase mélodique aussi bien que dans la phrase verbale, voici le trait d’union entre les deux membres, voici le point de partage : « Vous êtes maintenant dans la tristesse, mais je vous reverrai. » Ce mais (aber… aber) est le sommet d’où les deux aspects, les deux versans de l’idée ou du sentiment se découvrent. C’est ici que du fond de la tristesse on voit déjà poindre et monter la consolation, la joie, qui tout à l’heure et sur les mots décisifs : « Je vous reverrai, ich will euch wiedersehen, » inondera la mélodie étalée magnifiquement.

Il convenait d’insister sur la structure et presque la syntaxe, au moins sur la logique d’une telle œuvre, pour rappeler que la musique n’est pas, comme d’aucuns le prétendent, sentiment pur, encore moins rêve ou chimère ; qu’elle est un organisme rationnel autant que passionnel, et que tel mode ou telle catégorie de l’esprit peut se manifester par les sons aussi bien que par les mots. Mais si la musique, et en particulier cette musique, est esprit, elle est âme également, et du génie classique on peut dire ce que Veuillot disait de Dieu : « Encore qu’il ait tout créé avec nombre, poids et mesure, il est amour et non pas mécanique. » L’œuvre de Brahms n’est d’un si grand prix que parce qu’elle est amour. Elle n’est pas un drame, et le Requiem allemand diffère essentiellement par-là du Requiem français de Berlioz ou du Requiem italien de Verdi. La musique de Brahms est beaucoup moins action que pensée, méditation, « élévation sur les mystères » : sur le néant de la vie mortelle, sur la réalité et la béatitude de l’éternelle vie. Elle ne donne rien à l’extérieur ; elle s’interdit l’appareil théâtral, fût-ce le plus émouvant et le plus grandiose. Aux foudroyans dialogues que Verdi comme Berlioz établit entre des orchestres de cuivre, aux terribles fanfares qu’ils font sonner tous deux par les trompettes du dernier jugement, Brahms préfère une progression