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fins délicieuses, fins sans trouble ni crainte, fins souriantes et consolées, où s’affirme et se résume la pensée générale d’une œuvre consacrée à l’éternel repos.

Parmi les huit grandes pages, presque toutes égales et toutes diverses en beauté, qui forment le Requiem allemand, il en est deux où l’esprit classique, tel que nous venons de l’étudier, se manifeste avec un éclat singulier. Voici le texte, déjà cité, de la première : « Seigneur, enseigne-moi que je dois finir, que ma vie a un but et qu’il me faudra partir d’ici ! » Que cette phrase soit mélodique, il serait superflu de le démontrer. Elle s’impose comme telle tout de suite et tout entière. Elle se découpe et s’enlève sur le fond très sobre et très sombre des harmonies. Chantée d’abord à découvert, c’est une mélodie vocale. C’est, de plus, une mélodie tonale : fortement établie dans un ton, elle n’en sort pas, et, ne portant guère que sur la tonique et la dominante, elle prend l’une pour base et l’autre pour axe ou pour pivot. Mélodie classique, elle se divise en périodes équivalentes ; elle a deux sommets à peu près pareils. Elle ne procède pas non plus par larges intervalles et par sauts ; il y a dans son allure quelque chose de progressif et de continu. Enfin, cette phrase qui chante est aussi une phrase qui parle. Admirable de prosodie et d’accent, la musique ici communique au signe intellectuel, au langage, tout ce qu’elle contient en soi de vertu sensible, passionnelle et morale. Durée, hauteur, intensité des sons, elle proportionne tout à la valeur des mots, et, note par note, presque syllabe par syllabe, il serait aisé de faire voir comment la logique d’une telle mélodie en égale la beauté.

A la phrase dite par une seule voix, la même phrase répond, redite par quatre voix. Et cela encore est classique ; cela encore est l’une des figures de l’ancienne loi, l’une des formes ou l’un des modes peut-être éternels du génie musical. Rappelez-vous dans Bach, dans Beethoven, tant de sublimes dialogues, où revit l’idée antique du chœur. Mais le chœur d’Eschyle ou de Sophocle ne répondait qu’à l’unisson. La polyphonie vocale a multiplié la beauté, sans détruire l’unité, de ces nobles répliques. Quatre voix ici chantent ensemble, et chacune chante pourtant ; leurs chants divers ne sont qu’un chant. Admirable hiérarchie : un interprète ou un médiateur, et la foule. Égal en ceci aux plus grands, Brahms a compris et marqué la distance entre l’âme qui conduit, qui commande, et les âmes qui ne font que suivre et s’associer. Dans la strophe solitaire, il a mis la force, l’autorité, l’enthousiasme et la flamme ; dans la strophe commune, la déférence, l’humilité, presque la crainte. La mélodie harmonisée à quatre parties, la démarche moins