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d’être étonné si on lui eût dit qu’il travaillait à préparer l’avènement de la royauté féminine ; on peut croire qu’il n’y songeait guère. Mais les doctrines se transforment dans le voyage qu’elles font à travers les siècles. Elles en rencontrent d’autres qui se mêlent à elles et les colorent de nuances imprévues. Dante avait imprégné les âmes de son mysticisme. Pétrarque avait célébré le culte de la femme et revêtu l’amour d’un caractère religieux. Le sentiment chevaleresque, avant de disparaître, brillait d’une suprême magnificence qu’attestaient dans toute l’Europe le goût de la pastorale et la vogue des Amadis. L’esprit français qui est volontiers simpliste et ami du bon sens répugnait à accepter les doctrines vagues et quintessenciées du néo-platonisme. Marguerite de Navarre s’en fait chez nous l’introductrice. Elle en donne dans la dix-neuvième nouvelle de l’Heptaméron cette définition : « J’appelle parfaits amans ceux qui cherchent dans ce qu’ils aiment quelque perfection de beauté, de bonté ou de bonne grâce, ceux qui tendent toujours à la vertu et qui ont le cœur si haut, si honnête, que, dussent-ils en mourir, ils ne voudraient pas viser aux choses basses que l’honneur et la conscience réprouvent ; l’âme n’est créée que pour retourner au bien suprême, et tant qu’elle est renfermée dans le corps, elle ne fait qu’y tendre. Mais le péché du premier père a rendu obscurs et charnels les sens, son intermédiaire forcé… » Platonisme et catholicisme se rejoignent. — Tels sont les élémens que la femme, habile à profiter, de tous les avantages, allait faire servir à sa glorification. A Rome, à Florence, dans les cours d’Urbin et de Ferrare, en France, dans les cours de François Ier et de Henri II, la société va subir le pouvoir nouveau.

Car la femme n’admet plus que ce soit son devoir de s’humilier et de se sacrifier. Elle aussi, elle est une personne et elle a le droit de développer sa personnalité. Placée à côté de l’homme, elle est son égale, et sa destinée ne se confond pas dans celle d’un mari. Elle a son rôle qui lui appartient. Ce rôle consiste justement à dégager de toutes les choses la part de beauté qu’elles enferment, à spiritualiser la matière, à introduire l’art dans la vie.

Il faut d’abord soigner le décor de la vie. Le château massif, solidement bâti pour soutenir l’assaut des guerres, se transforme, s’allège, s’égaie de caprice et de fantaisie. La nature devient une auxiliaire pour l’artiste, et l’agrément des sites, la grâce des jardins et des parcs s’ajoute à l’élégance des architectures. Les sculpteurs, les peintres, les orfèvres rivalisent d’ingéniosité, de talent et de goût pour orner cette habitation luxueuse, et leurs œuvres, statues de déesses, portraits de