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le sujet, et nous donner une sorte de bible de la vie féminine de ce temps-là. A son livre bourré de faits, de citations, de réticences et de sous-entendus, il ne manque, pour être tout à fait agréable, que d’être moins complet, et pour être tout à fait utile, que d’être écrit avec une moindre recherche de l’agrément. Quand on vient d’assister au défilé de toutes ces grandes dames, italiennes et françaises, sans compter les Espagnoles, princesses, filles d’honneur, courtisanes et Mères de l’Église, et quand on a pénétré tous les secrets de leur vie intellectuelle et sentimentale, inventorié tous les artifices de leur culture, de leur parure, de leur coiffure, de leur hygiène, on se sent la vue un peu brouillée et l’attention un peu fourbue ; mais à la longue il se dégage une idée assez nette de la manière dont les femmes d’alors ont compris, conduit et manqué leur Révolution.

Pendant tout le moyen âge, la femme n’a pas d’existence personnelle. Elle n’existe qu’en tant qu’elle fait partie de la famille où elle entre pour administrer la maison et perpétuer la race. C’était presque une enfant quand on l’a mariée, et tout de suite elle s’est habituée à voir en son mari un maître qui a sur elle tout pouvoir, celui notamment de la battre et qui a parfois la main rude. On lui enlève ses enfans de bonne heure. Elle n’a ni vie de jeune fille, ni vie de femme, au sens où nous l’entendons aujourd’hui. A-t-elle conscience du vide de ses jours et s’ennuie-t-elle ? Mais l’ennui est une maladie des époques raffinées. Rêve-t-elle ? Mais c’est nous qui peuplons de nos modernes mélancolies ces châteaux d’autrefois où le souci de la vie réelle ne laissait pas entrer les chimères. Souffre-t-elle ? Mais les pires souffrances sont celles que laissent après eux les espoirs envolés et les rêves déçus ; et s’il lui arrive, ainsi qu’il n’est guère évitable, de se sentir fort malheureuse, du moins ne se plaint-elle pas d’être restée incomprise. Elle est très occupée ; levée avec l’aurore, elle surveille les valets et les chambrières, règle la dépense à la ville et aux champs, passe beaucoup de temps à l’église. Femme d’un mari grossier, elle n’est pas beaucoup plus éthérée que lui, ce qui l’empêche de se tenir pour une martyre. Elle le trompe assez volontiers, parce que pas plus qu’une autre elle ne résiste à l’attrait des sens ; d’ailleurs elle ne cherche pas malice à ces divertissemens, et n’en tire pas vanité. Sa place dans la société est nettement subalterne. Certes la poésie lyrique et certains romans comme celui de Guillaume de Lorris célèbrent déjà le culte de la femme ; mais c’est la poésie et c’est le roman. L’épopée héroïque ou familière, la chanson de geste et le fabliau traduisent sans se lasser le sentiment qu’on appliquait dans la vie commune : c’est celui de l’infériorité de la