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corps étaient trop faibles ; et l’extase de ce contact était trop profonde. »


Un quart d’heure après, les deux amoureux entament une discussion théologique qui, il faut l’avouer, ne va plus s’arrêter jusqu’à la fin du roman. Laura a bien encore plusieurs fois l’occasion de se promener avec Alan Helbeck, sur les collines boisées du Westmoreland, mais, au lieu, désormais, de cueillir des violettes, elle interroge son compagnon sur un trait de la vie de saint François Borgia, ou se révolte au tableau qu’il lui fait de la règle sévère du tiers ordre franciscain. Car Alan appartient au tiers ordre, c’est encore un détail que nous avions omis : il déclare à sa fiancée qu’elle devra aller sans lui au théâtre, quand on y jouera des pièces « qu’un catholique ne saurait entendre sans dommage pour sa conscience. » Et la jeune fille réplique que « son père la menait au théâtre aussi souvent qu’il pouvait, » ajoutant que « ce sera toujours pour elle un besoin d’y aller. » Elle a, en vérité, une singulière façon d’entendre l’amour, et nous ne nous étonnons pas que, avec une telle habitude de penser à soi-même, « elle ne se soit jamais beaucoup souciée des enfans. » Mais Mrs Humphry Ward a pour elle une tendresse mêlée d’admiration. On sent que volontiers elle redirait à son propos ce qu’elle disait naguère, dans un autre de ses romans : « Mariée ou non, une femme est tenue d’entretenir comme un feu sacré sa propre individualité. »

Aussi Laura Fountain, dès qu’elle devient la fiancée d’Alan Helbeck, ne cesse-t-elle plus de veiller à l’entretien de son « feu sacré. » Sa grande préoccupation est d’obtenir la garantie que, avant ni après son mariage, Alan n’empiétera sur son « individualité. » Une première fois, ayant cru découvrir que cet empiétement était inévitable, elle s’enfuit de Bannisdale, prouvant par-là que l’agnosticisme, comme école de morale, n’est guère supérieur au catholicisme : car elle sait qu’Alan Helbeck l’aime avec une ardeur insensée, et qu’en l’abandonnant, elle risque de le tuer ; mais cette considération ne paraît pas l’émouvoir davantage qu’elle n’a ému la jeune fille qui est entrée au couvent contre le gré de son père. Elle s’enfuit, elle se réfugie à Cambridge, chez le vieux philosophe qui estime que la « stature spirituelle de l’homme s’est élevée ; » et c’est une maladie de Mrs Fountain, sa belle-mère, qui la force à revenir dans le Westmoreland.