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— ce que j’ai vu ici suffit pour me rendre à jamais sympathiques le monde et le péché. Eh ! que ferions-nous sans eux ? Le monde, d’abord ! Il me semble l’entendre qui s’agite et marche, pendant que les gens d’ici perdent leur temps à prier. C’est lui qui, en travaillant pour eux, leur permet de prier, et de le maudire et de le diffamer. Et quant au péché, y a-t-il sur terre une créature raisonnable pour qui ce mot ait un sens ? Si vous êtes avare, ou égoïste, ou paresseux, la nature ou votre voisin se chargent de vous en punir : la fois suivante vous êtes déjà moins mauvais, et par degrés vous arrivez à vous améliorer tout à fait. Mais quelle folie de dépenser là-dessus tant d’invectives et de lamentations ! M. Helbeck, par exemple, pourquoi n’apprend-il pas plutôt la géologie ? » Et dans la lettre qu’elle écrit avant d’aller se noyer, elle dit encore que « les prêtres veulent lui arracher le fond de son âme, lui arracher tout ce qui est elle, » et qu’elle sent qu’elle « ne se résoudra jamais à le leur laisser prendre. » Elle a beau aimer Alan, celui-ci a même beau lui promettre que, si elle l’épouse, jamais il ne fera un effort pour la convertir. Il est catholique : c’est assez pour qu’à la vie avec lui elle préfère la mort.

Après cela, c’est affaire à elle, et l’on peut même s’étonner que son séjour à Bannisdale ne lui ait pas inspiré pour le « papisme » des sentimens de répugnance plus profonds encore. A l’exception, en effet, de quelques cérémonies assez poétiques, elle n’y a rien vu d’autre que ce que nous avons signalé. Elle n’y a pas appris à connaître d’autres vies de saints que celles que nous avons dites ; et si elle y a rencontré d’autres religieux que le curé Bowles et les sœurs de l’orphelinat, personne, en tout cas, ne lui a fourni l’occasion de juger avec plus de faveur le clergé catholique. Ajoutons enfin que pas une fois le catholicisme n’a contribué, sous ses yeux, à inspirer une belle pensée ou une action généreuse : elle n’a pu l’apprécier que comme une source d’intolérance, d’égoïsme et de petitesse. Son cas est même, à ce point de vue, tout à fait curieux : c’est le cas d’une jeune fille qui, transportée soudain dans un milieu catholique, a la malechance de n’y trouver qu’une caricature d’une religion inconnue pour elle.


II

Mais ce n’est pas ainsi que l’a entendu Mrs Humphry Ward. Ce n’est pas un cas singulier et exceptionnel qu’elle a voulu