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empêché Alan Helbeck d’être le parfait gentilhomme que ses instincts le destinaient à devenir. Le pauvre homme en est arrivé à ce degré d’hébétude, qu’il place au-dessus de toute réalité « les quatre fins dernières de l’homme : la mort, le jugement, le ciel et l’enfer. » Il fait mieux encore : il avoue à la jeune fille qu’il s’est trouvé lui-même dans des circonstances pareilles à celles où se sont trouvés saint François Borgia et le saint anonyme dont a parlé l’orpheline. Il a aimé une femme qui, pour lui, a manqué à ses devoirs de chrétienne et d’épouse ; et au moment où, mourante, elle l’appelait, il s’est enfermé dans une cellule de couvent, afin d’obtenir du ciel qu’elle fût sauvée. Elle l’a été : une voix d’en-haut le lui a appris ; et il a juré de n’être plus qu’à Dieu. Voilà ce qu’il raconte à Laura, sa bien-aimée, comme une preuve suprême de la toute-puissante beauté du catholicisme !

Et Laura, par amour pour lui, n’est pas éloignée de se convertir à sa foi. Elle reconnaît que le catholicisme est, de toutes les religions, « celle où l’on est le mieux pour mourir. » Mais sans doute elle n’en est pas tout à fait convaincue, puisqu’elle préfère se tuer, à la fin du roman, plutôt que de se convertir à la religion « où l’on est le mieux pour mourir. »

Elle se tue, parce qu’elle vient, une fois de plus, de s’apercevoir de la duperie de cette religion. Pendant qu’elle avouait à Alan son désir de se faire catholique, sa belle-mère, Mrs Fountain, est morte, dans une chambre voisine. « C’était elle qui avait achevé de me persuader. J’étais heureuse de penser que, puisqu’elle souhaitait si ardemment ma conversion, elle aurait la joie de l’apprendre avant de mourir. Et voici qu’elle est morte sans l’avoir apprise. Elle avait tant demandé à Dieu cette faveur, et Dieu ne la lui a pas accordée. Il n’a pas consenti à la laisser vivre un moment de plus, pour être informée de la seule chose qui lui tenait au cœur ! C’est cela qui m’a frappée. Si elle avait vécu un moment de plus, j’aurais vu là un signe. Il m’a été refusé. » Sur quoi Miss Fountain court se noyer dans la rivière voisine : et son suicide nous prouve, une dernière fois, que le catholicisme n’est point fait pour d’aussi nobles âmes.


Elle-même nous fait connaître, d’ailleurs, les sentimens qu’il lui inspire quand elle le juge de sang-froid, au lieu de se laisser aveugler par sa passion pour Alan. « Dès maintenant, — écrit-elle de Bannisdale à une de ses amies, peu de temps après son arrivée,