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l’orphelinat racontent l’histoire en échange de celle de Cendrillon ; témoin encore saint François Borgia, au sujet duquel Laura soutient avec le pieux Alan un débat théologique bien curieux aussi :


— Je sais ce que vous avez lu ce matin ! lui dit la jeune fille. Croyez-vous que saint François Borgia ait été une personne admirable ?

— J’ai trouvé chez lui plus d’un exemple édifiant, répondit Helbeck, du ton le plus calme.

— Vraiment ? Aimeriez-vous à lui ressembler si vous le pouviez ? Vous rappelez-vous comment, tandis que sa femme était très malade, et qu’il priait pour elle, il entendit une voix… Vous rappelez-vous cela ?

— Poursuivez ! fit Helbeck sans s’émouvoir.

— Et la voix dit : Si tu veux que ta femme vive, elle vivra : mais cela ne sera point profitable pour toi. Entendant ces paroles, il fut pénétré d’un tendre amour de Dieu, et fondit en larmes. Il demanda alors à Dieu de faire suivant Sa volonté, en ce qui touchait sa femme, ses enfants et lui-même. Puis il cessa de prier pour la malade. Et son état s’aggrava, et elle mourut, le laissant veuf à l’âge de trente-six ans. Après cela, — de grâce, ne m’interrompez pas ! — en l’espace de trois ans il se débarrassa de ses huit enfans, dont quelques-uns, évidemment, devaient être encore en bas âge ; il fit ses vœux, devint Jésuite, et alla à Rome. Approuvez-vous tout cela ?


Et comme Helbeck ne se hâte pas de désapprouver, alléguant que, au temps de saint François, « Dieu pouvait appeler certains hommes à des tâches spéciales, » la jeune fille lui pose la question suivante : « Mon père, lui dit-elle, était membre d’une Société d’Ethique, à Cambridge, où l’on discutait volontiers les problèmes moraux : que pensez-vous qu’il aurait dit de la conduite de saint François Borgia ? »

Le père de Miss Fountain, et ses collègues de la Société d’Ethique de Cambridge, n’eussent guère aimé non plus un autre saint, qui paraît également être tenu en grand honneur à Bannisdale : saint Charles Borromée, dont Laura trouve un jour la Vie grande ouverte, sur la table d’Alan Helbeck. Et voici le passage qui lui saute aux yeux : « Par un amour scrupuleux de la pureté, le saint ne parlait jamais à une femme qu’en présence d’une tierce personne : et il n’exceptait pas même de cette règle sa pieuse tante, ni ses sœurs. »


Mais du reste, et d’une façon générale, il n’y a rien à Bannisdale qui ne semblerait avoir été créé à dessein pour indigner et irriter les membres des Sociétés d’Ethique. Alan Helbeck, par exemple, avec sa haute intelligence et ses nobles sentimens,