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prié Notre-Seigneur pour l’âme du pécheur mourant. Et celui-ci avait fait une bonne mort, et était sauvé, tout cela parce que le saint avait obéi aux ordres de son supérieur.

« Laura se leva brusquement. L’enfant, qui s’était attendue à un baiser accompagné d’une phrase pieuse, la considérait d’un air ébahi.

« — N’est-ce pas là une belle histoire ? demanda-t-elle timidement.

« — Non. Je ne l’aime pas du tout ! dit Miss Fountain. Je me demande qui a pu vous apprendre de telles histoires ?

« L’enfant continua de la considérer un instant. Puis un voile soudain tomba sur la clarté de ses grands yeux de malade ; son expression changea ; elle prit la mine sournoise de l’animal aux aguets, et qui sent l’ennemi. Elle ne dit pas un mot de plus.

« — La petite bigote ! songea Laura. Sont-ils donc comme cela dès le berceau ? »

L’anecdote ne s’arrête pas là. Le soir, Laura rapporte à Helbeck « l’horrible histoire » que lui a racontée l’enfant, et la réponse qu’elle-même y a faite. Et Helbeck, d’ordinaire infiniment réservé, s’indigne et se fâche, mais contre elle seulement. Le récit de l’enfant lui semble tout naturel. « C’est vous qui avez mal agi ! dit-il à la jeune agnostique. Vous avez jeté dans l’âme d’un enfant les germes du doute et de la révolte ! — C’est vrai, répond Laura : mais où est le mal ? — Où est le mal ? Demandez-le à votre conscience ! Que pensez-vous qu’un enfant, — une malheureuse petite condamnée à une vie d’obéissance, — que pensez-vous qu’elle ait à faire du doute et de la révolte ? Le doute, pour elle, — pour nous tous, — c’est la souffrance ! » Mais Laura ne l’entend pas ainsi. « Mon père m’a enseigné, au contraire, que c’était la vie, s’écrie-t-elle : et je le crois ! »

Quoi qu’il en soit, au surplus, de ce problème de psychologie, chacune des journées que Laura Fountain passe à Bannisdale lui fournit une nouvelle occasion de connaître la vie et les mœurs catholiques. Tantôt c’est Mrs Fountain, sa belle-mère, qui lui parle d’une jeune fille du village qui va entrer au couvent. « Sa mère est morte l’année dernière ; elle a six frères et sœurs plus jeunes qu’elle, et son père dit qu’elle le tuera en devenant religieuse. » Mais ce ne sont point de tels scrupules qui peuvent agir sur une âme catholique : témoin le saint dont les enfans de