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mouvemens ! Jusque dans le jeu, Miss Fountain était une personnalité !

« Soudain une des petites filles se mit à pâlir et à traîner le pied : Laura s’arrêta pour la regarder.

« — Je ne puis plus courir ! dit l’enfant, d’un ton dolent. On m’a tiré un os de la jambe, l’année passée.

« C’était une créature d’aspect maladif, rachitique et anémiée, une épave recueillie dans quelque ruelle de Liverpool. Laura la prit dans ses bras, l’emporta loin des autres enfans, la fît asseoir à l’ombre d’un arbre et s’assit près d’elle. L’enfant la dévisageait avec des yeux timides ; puis tout à coup, s’enhardissant, elle passa un bras autour du cou de la gentille dame.

« — Racontez-moi une histoire, maîtresse ! supplia-t-elle.

« Laura fut prise de court : elle avait oublié les contes de son enfance, n’ayant jamais eu de frères ni de sœurs à qui les raconter à son tour, et d’ailleurs s’étant toujours souciée assez peu des enfans. Mais elle parvint, non sans peine, à tirer du fond de sa mémoire l’histoire de Cendrillon.

« — Oh ! oui, je connais cette histoire-là, dit l’enfant : elle est charmante ! Maintenant c’est moi qui vais vous en raconter une.

« Après quoi, d’une voix nasillarde et monotone, comme si elle répétait une leçon, elle se mit à débiter quelque chose que Laura reconnut bientôt être la vie d’un saint. La jeune fille, dominant sa répugnance, s’efforça d’écouter le fastidieux récit, jusqu’au moment où l’enfant dit, avec une onction pleine d’assurance :

« — Et une fois le saint alla dans un hôpital, pour voir les malades. Et comme il recevait la confession d’un pauvre matelot, il découvrit que c’était son propre frère, qu’il n’avait plus vu depuis très, très longtemps. Or le matelot était très malade, sur le point de mourir, et il avait été un méchant homme, et le nombre de ses mauvaises actions avait été grand. Mais le bon saint ne lui fit point connaître qui il était. Il rentra dans son couvent, et dit à son supérieur qu’il avait retrouvé son frère. Et le supérieur lui défendit d’aller revoir son frère, parce que, lui dit-il, Dieu prendrait soin de lui. Et le saint en fut très affligé, et le démon le tenta cruellement. Mais il pria Dieu, et Dieu lui donna la force d’être obéissant. Et bien des années plus tard une pauvre femme vint voir le bon saint. Elle lui dit qu’elle avait eu une vision, où la Sainte Vierge lui était apparue. Et la Sainte Vierge l’envoyait dire au saint que, pour le récompenser de ce qu’il avait été obéissant, et n’était pas retourné auprès de son frère, elle avait