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du siècle passé, l’arrière-grand’mère du jeune mystique. Et Laura apprend que celui-ci s’apprête à vendre ce chef-d’œuvre, pour subvenir aux frais d’un orphelinat qu’il a fondé et qu’il entretient. Car « il vit sur sa maison comme d’autres sur leur capital : ou plutôt il convertit sa maison en aumônes. Les boiseries, les meubles, les objets d’art, tout ce que contenait Bannisdale s’en est allé, afin que les orphelins catholiques de la région eussent une école dirigée par des religieuses. » Comme le dit de son frère Mrs Fountain, la belle-mère de Laura, « ce sont les prêtres qui le mettent à sec. » Et Laura se rappelle à ce propos que déjà, quinze ans auparavant, quand Mrs Fountain s’est mariée, le mariage lui est apparu surtout comme un moyen d’échapper à la vie de privations où son frère la condamnait.

C’est la vie qu’il mène lui-même, silencieux et sombre, entièrement absorbé par ses devoirs religieux. Il jeûne tout le temps du carême : il fait plusieurs milles, chaque matin, pour entendre la messe au village voisin : il s’épuise en mortifications, « voulant par-là dompter son corps, comme saint Paul » : et sur aucun point il ne s’écarte « de la règle que lui a fixée son directeur de conscience. » L’Imitation et les Exercices spirituels sont sa lecture constante. « Vile poussière, apprends à t’humilier sous les pieds des hommes, pour l’amour de Moi ! » murmure-t-il dévotement le soir de l’arrivée de Laura, et avant de se coucher il relit un vieux cahier de méditations où se trouvent des pensées telles que celle-ci : « L’homme doit tenir les créatures pour indifférentes en soi. Il ne doit pas subir leur influence, mais se servir d’elles pour sa fin propre, sa fin principale, — son unique lin, — qui est le salut de son âme. »

Le lendemain de son installation à Bannisdale, Laura fait la connaissance du curé de la paroisse, l’abbé Bowles, « un gros homme, avec un visage tout rond, et deux mains potelées qu’il ne cesse pas de tenir croisées sur sa poitrine. » Il « l’aborde avec une politesse balbutiante et un peu obséquieuse, lui posant une foule de questions inutiles sur son voyage et son arrivée. » Mais c’est seulement au déjeuner qu’il se montre tel qu’il est. Il mange avec une avidité de paysan mal nourri : et « brusquement Laura le voit se lever de sa chaise, courir vers la fenêtre, avec sa serviette à la main, et foncer de tout son cœur sur une mouche, qui bourdonnait sans penser à mal faire. » Il tue la mouche, jette son cadavre