Il est, en outre, une autre considération dont il faut tenir compte. Alors que notre domination était réduite à l’embouchure du Sénégal et à quelques points de la côte dans les régions les plus faciles et les moins coûteuses à ravitailler, presque jamais les recettes n’ont pu couvrir les dépenses d’administration et autres. Depuis quatre siècles, nos possessions sur le littoral ont coûté à la France des sommes énormes, n’ont guère été en mesure de vivre par elles-mêmes et de se suffire avec leurs propres ressources. L’initiative privée ou collective qui a voulu exploiter ces contrées n’a pas été heureuse. Les compagnies diverses qui ont eu pour objet le commerce ou la mise en culture du littoral ont toutes sombré. L’histoire de ces compagnies n’est que l’histoire de leurs faillites. Aujourd’hui que notre domination s’est démesurément étendue dans l’intérieur, que certains postes sont à 4 000 kilomètres de la côte, en plein désert, n’y a-t-il pas quelque naïveté à se demander si nos possessions de l’Afrique occidentale payeront ?
Mais il n’y a pas de terrain, si maigre qu’il soit, dont on ne puisse tirer parti, et dans l’Afrique occidentale française il existe des coins favorisés : les rivières du Sud, le Dahomey, certains districts du Mossi, peut-être certaines vallées du haut Niger, et quelques points de la côte d’Ivoire. Il y a là les élémens d’un commerce fort actif : sur la côte, les arachides, les graines oléagineuses, la gomme, le caoutchouc, la noix de kola ; dans les vallées du haut Niger, les arbres fruitiers, l’oranger, le citronnier, le bananier, l’ananas, le riz, le coton, le tabac, l’indigo, le café, le palmier à huile. Ces élémens sont d’autant moins négligeables qu’on ne saurait les rencontrer sur le sol métropolitain et que chaque année nous importons pour un milliard de produits exotiques achetés à l’étranger. Ce qu’il faut, pour que ce pays ne soit pas à charge à la métropole et lui rapporte même, c’est de savoir l’administrer et de proportionner l’effort au résultat.
Or, il n’y a pas à se le dissimuler, dans l’Afrique occidentale, notre administration jusqu’aujourd’hui a été au rebours du bon sens et nos dépenses en hommes et en argent hors de toutes proportions avec ce qu’on pouvait espérer retirer du pays. Depuis un demi-siècle nous avons suivi, tant au Sénégal qu’au Soudan, une politique aventureuse et toute guerrière et visé l’occupation effective du pays ; puis, l’occupation réalisée, nous avons introduit dans les régions conquises notre administration centralisatrice.