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Barth au cœur du continent noir ; et les résultats de cette expédition décidèrent des négocians, à Liverpool, à Birmingham, à Londres, à tenter sur une grande échelle l’exploration commerciale du pays. Aux premiers comptoirs fondés par la mission du Niger, ils ajoutèrent d’autres établissemens. La première compagnie qui fut formée par eux pour l’exploitation commerciale du Niger fut la West African Company ; d’autres surgirent, puis toutes fusionnèrent en une seule : la National African Company. Le cercle des opérations fut étendu progressivement ; les comptoirs et les factoreries couvrirent les deux rives du fleuve ; une flottille de vapeurs remontèrent le Niger et son grand affluent la Bénoué jusqu’à 800 kilomètres dans l’intérieur.

Mais, à ce moment où l’initiative des explorateurs, le zèle des missionnaires, l’avidité des commerçans avaient établi, à l’exclusion de toute autre, l’influence anglaise dans ces parages, une tentative se produisit, tout à l’honneur de l’initiative privée française, qui faillit ravir à l’Angleterre le fruit de tant d’efforts patiemment soutenus depuis un siècle. En 1880, des négocians français, frappés des grands bénéfices que procurait aux négocians anglais l’exploitation du bas Niger, entreprirent de leur disputer le monopole commercial de la contrée, et envoyèrent M. de Sémallé aux bouches du fleuve. M. de Sémallé, étant mort quelques mois après son arrivée, fut remplacé par le commandant Mattéi. Ce dernier déploya l’activité la plus grande et, au cours de deux campagnes, fonda vingt-quatre comptoirs sur le bas et le moyen Niger et son affluent la Bénoué. Un instant, l’on put croire que, grâce à lui, l’influence de la France allait s’établir à l’embouchure du Niger au même titre que celle de l’Angleterre. La National African Company elle-même prit peur et chercha à ruiner sa rivale par une guerre de tarifs ; elle n’y réussit que trop. La Société française, peu ou pas soutenue par le gouvernement que préoccupaient les questions de Tunisie, du Tonkin et de Madagascar, ne disposant d’ailleurs que de capitaux tout à fait insuffisans, dut céder après trois ans de luttes et se trouva trop heureuse d’abandonner tous ses établissemens à sa rivale moyennant la somme de trois millions. Au 31 décembre 1884, tous ses navires, tous ses comptoirs, toutes ses marchandises passèrent à la compagnie anglaise. Ce jour-là, nous commîmes la faute irréparable. Nous laissâmes le champ libre à l’Angleterre, dans le bas Niger et dans le Soudan central.