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premier abord que la vallée du Niger aurait dû être attirée dans la sphère d’attraction européenne au même titre et à la même époque que la région du littoral. Il n’en a rien été cependant. Pour surprenante que la chose puisse paraître, bien que les Européens et en particulier les Anglais fussent établis depuis des siècles à la côte occidentale d’Afrique, ils n’ont connu la vaste région qu’arrose le Niger et son grand affluent la Bénoué qu’à une époque rapprochée de nous. C’est que les trafiquans du littoral avaient une préoccupation exclusive : le commerce, et qu’il leur importait peu d’aller visiter l’intérieur du pays, qui fournissait pourtant les matières premières de leur négoce. Aussi, encore à la fin du siècle dernier, on ignorait la source, le parcours et l’embouchure du Niger. Tout ce qu’on savait, et encore était-ce d’une façon peu précise, c’est qu’il existait dans l’Afrique occidentale, à une certaine distance du littoral, un grand cours d’eau. Où se dirigeait-il ? Les uns croyaient qu’il allait rejoindre le Congo, les autres le lac Tchad ; d’aucuns soutenaient qu’il était une des branches maîtresses du Nil. L’intérieur de l’Afrique occidentale n’était pas non plus connu. Le désir de mettre un terme à cette ignorance ne se manifesta sérieusement en Europe qu’à la fin du XVIIIe siècle. La découverte du Niger et de la Bénoué doit être attribuée à une manifestation à la fois sentimentale et positive du génie anglais, au caractère de philanthropie et d’esprit de lucre qui est à la base de presque tous les actes de la vie politique extérieure en Angleterre.

Vers 1780, se produisit presque simultanément chez toutes les nations protestantes du nord de l’Europe un mouvement extraordinaire de sympathie en faveur de la race nègre. Les horreurs de la traite et les souffrances imposées aux noirs, victimes de cet odieux trafic, avaient ému les âmes pieuses et provoqué chez elles un vif sentiment de pitié. Des missionnaires, des philanthropes, des commerçans se réunirent, résolurent d’améliorer le sort des nègres et d’ouvrir le continent noir à l’activité commerciale de l’Europe, et dans cette intention fondèrent, en 1788, à Londres, l’Association africaine, qui devait fournir une carrière si longue et si glorieuse. Un des premiers qui vinrent offrir leurs services à l’Association fut un jeune médecin écossais, Mungo-Park, qui fut envoyé à la côte occidentale d’Afrique avec mission de pénétrer dans l’intérieur du continent noir. Ce fut le premier Européen qui vit le Niger. Au cours d’un premier voyage, qui dura de