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occidentale d’Afrique. Aucune puissance en Europe n’eût alors fait d’opposition. L’Allemagne n’avait pas encore de velléités coloniales. La France, meurtrie par les désastres de 1870, se recueillait et, voyant dans toute colonie lointaine une déperdition de forces, ne cherchait pas à augmenter ses possessions au dehors. Nous étions même si éloignés de vouloir contrecarrer l’expansion anglaise à la côte d’Afrique que nous allâmes jusqu’à offrir de céder à l’Angleterre les quelques points que nous possédions alors sur le littoral de Guinée, Grand-Bassam, Assinie et le Gabon, en échange de la Gambie ; et si la cession n’eut pas lieu, ce ne fut certes pas la faute du gouvernement français. Mais les missionnaires anglais avaient évangélisé une bonne partie des indigènes de la Gambie. Quand ils apprirent que leur petit troupeau allait être cédé à une puissance catholique, ils jetèrent les hauts cris, firent appel à l’appui des Sociétés bibliques et forcèrent le gouvernement britannique à rompre les négociations. Ce jour-là, on peut le dire, l’Angleterre sacrifia à la conservation de quelques ouailles l’empire exclusif de l’Afrique occidentale.

On a reproché depuis au Foreign-Office de n’avoir pas fait preuve, en cette circonstance, de cet esprit d’entente des affaires coloniales qui lui est habituel, d’avoir manqué de prévoyance, de n’avoir pas su deviner l’avenir. Ces reproches ont été formulés de l’autre côté de la Manche avec une certaine acrimonie. Mais, sans aller jusqu’à approuver la détermination qui fut prise alors, du moins peut-on l’excuser dans une certaine mesure, si l’on tient compte de l’époque et des circonstances. En 1875, l’opinion publique en Angleterre n’était pas favorable à l’extension de la puissance anglaise aux colonies. Les doctrines de l’école de Manchester dominaient alors dans le monde économique et étaient en faveur jusqu’auprès du Foreign-Office même. Volontiers l’on y professait que les colonies ne rapportent rien à la métropole, qu’elles sont la source de complications incessantes et de conflits ; qu’elles occasionnent de grandes dépenses ; bref, qu’il ne faut dépenser pour elles ni un soldat ni un écu. Les colonies de la côte occidentale d’Afrique surtout étaient vues sous un jour peu favorable. On sait que le littoral de la Guinée est, pour les blancs, l’un des pays les plus meurtriers du monde. Dans cette zone intertropicale, il n’y a pas à proprement parler d’hiver ; l’été s’y continue d’année en année et de siècle en siècle ; l’atmosphère y est constamment moite et lourde comme celle d’une terre chaude. Il