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consolations que l’Idéal céleste a données à tant de vaincus : sa foi, toujours vague comme sa pensée elle-même, n’a pu être pour elle ni une force ni une lumière. Quelques-uns ont été plus violemment écrasés : aucun n’a souffert une plus lente et plus morne agonie. Elle n’a été, quoiqu’on ait récemment essayé de la placer dans un drame, ni théâtrale, ni élégiaque : elle n’appartient qu’à l’histoire, et encore non point par ses actes, mais seulement par sa naissance, par les faits qui se sont agités autour d’elle et par l’aspect mystérieux de ses infortunes.

Quant aux causes réelles de l’état mental qui a torturé sa vie, elles ne peuvent évidemment être déterminées avec une certitude absolue, étant cachées dans les profondeurs insondables de l’organisme humain. Toutefois, et sans insister sur une controverse réservée à la science aliéniste, nous nous arrêterons, en terminant ces pages, sur une question que l’on se pose inévitablement devant les faits que nous venons de raconter : la folie de Jeanne a-t-elle été accidentelle ou héréditaire ? L’éminent écrivain espagnol, M. Villa, qui vient d’ajouter tant de pièces d’archives aux documens déjà publiés sur ce douloureux épisode, examine ce problème à la fin de son consciencieux ouvrage : il considère que Jeanne est devenue « folle par amour, » exaspérée d’abord par les infidélités conjugales, et brisée ensuite par la mort de Philippe le Beau. Pour nous, tout en reconnaissant que ces événemens ont en effet exercé une funeste influence sur le cerveau de la princesse, nous ne saurions accepter l’opinion formulée sous cette forme exclusive par M. Villa. Nous sommes persuadés que Jeanne avait apporté en naissant le germe fatal. En premier lieu, nous ne saurions oublier que sa grand’mère maternelle avait été enfermée pour cause de démence au château d’Arevalos. M. Villa ne paraît pas, il est vrai, admettre l’hérédité de la folie à la seconde génération : nous n’avons pas la prétention de discuter en théorie ce point médical, mais de nombreux exemples semblent cependant attester la réalité d’un tel atavisme. En second lieu, s’il est vrai que ce fut surtout depuis le mariage de Jeanne que les indices saillans se sont développés, nous devons rappeler qu’avant cette époque, elle inspirait aux siens des inquiétudes qu’ils gardaient secrètes. Ferdinand et Isabelle avaient certainement remarqué dans son esprit des prédispositions étranges ; elles n’étaient pas assez accentuées d’abord pour qu’ils ne pussent espérer que le temps, le