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noble et très fière : elle déclara qu’elle représentait la véritable fidélité au trône, que sa cause était juste et qu’elle combattrait jusqu’au bout pour la liberté de la patrie et le bien du Roi. Un choc suprême était inévitable : les deux partis se fortifièrent pendant quelque temps encore, puis enfin s’en remirent à la fortune des armes. Le 23 avril 1521, la bataille de Villalar décida la question ; la victoire demeura à l’armée royale : les principaux chefs de la révolte, Padilla, Bravo, Maldonado, furent pris et aussitôt décapités. Telle fut la fin d’une entreprise généreuse et nationale, quelque peu désordonnée, trahie peut-être par d’obscures intrigues, en tout cas incomplètement servie par les populations rurales hésitantes et timides, par une bourgeoisie courageuse, il est vrai, mais sans expérience ni discipline. Elle a eu ses soldats héroïques et ses martyrs, mais elle ne pouvait pas vaincre un souverain devenu tout à coup le plus puissant prince de l’Europe et une féodalité encore prépondérante. Une nouvelle monarchie se trouva ainsi fondée sur les ruines des traditions séculaires : on sait ce qu’elle fut, et l’Espagne a dû plus d’une fois regretter les droits et les libertés qu’elle avait perdus.


X

L’histoire politique de Jeanne était terminée. Replacée sous la tutelle du marquis de Dénia, surveillée d’autant plus étroitement que les faits avaient démontré la nécessité de la soustraire aux tentatives du dehors, la malheureuse reine vécut trente années encore sans sortir du château de Tordesillas. Tandis que les événemens du règne de son fils Charles-Quint se déroulaient sur la scène du monde, aucun épisode n’interrompit désormais le calme de sa vie lugubre. Les lettres assez nombreuses du marquis de Dénia (mort en 1535), et celles de son fils qui lui succéda, indiquent le maintien de la même discipline inflexible et minutieuse. On n’y trouve même aucun détail sur les deux seules circonstances qui aient pu intéresser la recluse : le mariage de l’infante Catherine, célébré en 1524, et la translation définitive du cercueil de Philippe le Beau à Grenade. Les facultés de la reine étaient-elles alors tellement altérées que ces événemens l’aient laissée indifférente ? ou bien a-t-on détruit les documens qui retraçaient peut-être des scènes douloureuses ? On ne sait ; la correspondance des gouverneurs de Tordesillas avec l’Empereur ne