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entrèrent également dans le château sans coup férir et furent directement introduits chez la reine. Agenouillés devant elle, ils lui annoncèrent qu’ils venaient pour lui offrir l’hommage de leur obéissance, remédier aux maux qui affligeaient les peuples, et mourir, s’il le fallait, pour sa cause. D’après le procès-verbal des officiers de la junte, document qu’on ne peut contrôler puisque nul autre n’a été rédigé, Jeanne aurait semblé satisfaite et aurait répondu : « Oui, soyez ici à mon service. Avisez-moi de tout et châtiez les méchans. En vérité, je vous ai grande obligation. » Elle aurait même, dans un entretien subséquent, exprimé le désir que la junte vînt auprès d’elle et aurait ajouté, — ce qui est bien peu vraisemblable, — que la jeunesse du Roi excusait ses erreurs et que les fautes devaient être imputées au Royaume, qui les avait laissé commettre.

Le compte rendu plus ou moins fidèle de ces entrevues et de ces paroles servait si bien les intérêts des communes que la junte lui donna la plus grande publicité. L’agitation générale s’en accrut sensiblement, aussi bien que la hardiesse de l’insurrection. Le cardinal-régent, fort ému du coup de main de Tordesillas et des discours qu’on prêtait à Jeanne, manifesta de nouveau les plus sérieuses inquiétudes. Il essayait, il est vrai, dans ses lettres à son maître, d’atténuer le caractère de cette attitude : « Bien qu’elle ait montré quelque prudence, dit-il, elle a mêlé à ses réponses des choses qui font comprendre facilement l’état incomplet de son esprit ; mais les gens d’ici prennent dans ses paroles ce qui leur convient et ce qui favorise leurs projets. » En réalité, il ne savait à quel parti s’arrêter. Ses conseillers étaient troublés, quelques-uns avaient pris la fuite. Lui-même craignait pour sa sûreté ; il commençait à parler de concessions, de clémence, d’amnistie générale.

Pendant ce temps la junte, affectant de déférer au vœu de la reine, et tenant pour exacts les rapports de ses agens, que, de leur côté, les adversaires du mouvement déclaraient faux, décida, vers la fin d’août 1520, de s’installer à Tordesillas. De nombreux députés aux Cortès l’y rejoignirent : Salamanque, Avila, Madrid, plusieurs autres villes envoyèrent des renforts. Jeanne se trouva ainsi entièrement entre les mains des insurgés. Ceux-ci prirent aussitôt la direction du palais, expulsèrent Dénia et les siens, nommèrent camarera mayor la femme du commandeur Quintenillas, leur partisan déclaré, renouvelèrent tout le service intérieur. Enfin, les