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suprême à son ancien précepteur, de nationalité flamande, le cardinal d’Utrecht, entièrement dévoué non seulement à sa personne, mais au système politique de l’entourage, et qu’il devait plus tard, par son influence souveraine, élever au trône pontifical sous le nom d’Adrien VI. C’était un choix malheureux : ce prélat était un homme fort pacifique, excellent théologien, mais sans énergie, et de plus tout à fait ignorant des affaires espagnoles. L’opposition s’accentua dès lors dans toutes les classes sociales : la noblesse, qui avait des compensations, demeura extérieurement fidèle en attendant les événemens, mais au fond peu satisfaite ; la bourgeoisie et le peuple, moins circonspects, manifestèrent leur hostilité par des réclamations incessantes qui ne furent point écoutées ; la plupart des villes s’agitèrent, les municipalités insistèrent sur leurs doléances ; des manifestations tumultueuses et des troubles assez graves se produisirent sur plusieurs points. Les communes s’entendirent alors sur un programme décisif : elles demandaient, sous une forme menaçante, le respect absolu de leurs franchises et le renvoi des ministres étrangers. Le gouvernement n’ayant donné aucune suite à ces démarches qu’il estimait séditieuses, un certain nombre de cités se soulevèrent et prirent les armes ; une junte insurrectionnelle, formée des députés des principales villes de Castille, se réunit à Avila, et elle eut rapidement une armée, mal disciplinée, il est vrai, comme toutes les milices, mais considérable et commandée par des chefs entreprenans. L’honnête et médiocre cardinal Adrien ne sut ou ne put arrêter le rapide développement de la révolte : le feu qui couvait depuis si longtemps prit bientôt les proportions d’un incendie, et, à brève échéance, le premier ministre dut adresser au roi des lettres qui attestaient à la fois son impuissance et la grandeur du péril.

La junte d’Avila comprenait toutefois la nécessité d’un point d’appui. Il fallait alors à tout pouvoir le prestige d’un nom royal ou d’une aristocratie : or, le concours des Grands était douteux et dangereux peut-être ; Jeanne, au contraire, trop faible pour inquiéter personne, pouvait tout couvrir et justifier par son titre de Reine. On n’hésitait pas à penser que, raisonnable ou non, elle serait heureuse de reprendre ses droits et disposée à ne rien refuser au peuple. En outre, l’insurrection, se plaçant sous le patronage auguste de la princesse affranchie par son initiative, prenait l’aspect d’un acte généreux et libérateur ; bien plus, elle