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de son grand-père Ferdinand : mais enfin son cœur, évidemment, demeurait froid, et si l’on peut alléguer comme excuse qu’il connaissait à peine sa mère, il n’en est pas moins avéré que, même alors, il s’est borné à des manifestations d’intérêt tout à fait insuffisantes en face d’une aussi navrante infortune.

Il a eu, en outre, le malheur d’avoir donné toute sa confiance à un agent incapable de le bien servir. Autant qu’il est possible de reconstruire la physionomie d’un homme, en dehors de témoignages contemporains et uniquement d’après sa correspondance, le marquis de Dénia nous apparaît comme le type du fonctionnaire raide et obtus. Aveuglément attaché à sa consigne générale qui était de réprimer les écarts de la recluse, de veiller à ce qu’elle fût calme en l’isolant des bruits du dehors, et d’empêcher que des intrigues n’eussent accès auprès d’elle, il ne connaissait à aucun degré l’art des ménagemens ni la mansuétude. Il prenait les règlemens dans leur sens étroit et littéral et leur donnait le caractère de vexations incessantes, les aggravant par son autorité dure et taquine là où il eût été facile de les adoucir avec un peu d’indulgence et de bon esprit. Sans tact dans les procédés ni dans l’appréciation des circonstances, incapable d’éluder par la bonne grâce et l’adresse les incidens difficiles et les mauvais côtés de son rôle, ne sachant ni céder à propos, ni prévoir les conflits, il s’imaginait être fidèle à son maître en restant toujours âpre, anguleux et obstiné. Loin de chercher à s’attirer les sympathies de la princesse, il a été son tuteur inflexible, et ce gentilhomme de haute race n’a jamais compris, — ne fût-ce que pour lui-même, — qu’il transformait sa charge de majordome en un emploi de geôlier. Il a changé un internement nécessaire, qui aurait pu aisément être atténué par de respectueuses prévenances et des distractions inoffensives, en une véritable captivité. Sa femme, qui avait le soin de nombreux détails intérieurs, semble avoir été aussi peu habile et délicate que lui-même, et son fils, qui eut plus tard la survivance de ses fonctions, continua ces traditions rigoureuses. Ainsi Jeanne fut toujours entre les mains de surveillans tyranniques et revêches, qu’elle a successivement exécrés, et qui, par leur système inintelligent et rigide, ont exaspéré encore sa violence maladive et l’agitation de son esprit.

Les rapports du marquis de Dénia indiquent, comme on devait s’y attendre sous la direction d’un aussi déplaisant majordome, la permanence des plus tristes symptômes. Ce personnage était trop