Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/843

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triste de ne trouver aucun changement dans ta situation de la reine, se préoccupa de nouveau de régler tout au moins ses heures de repas et de sommeil, l’exhorta avec les plus vives instances à modifier un régime dangereux. En réalité, il eût fallu pour enrayer le mal un ensemble de soins, une habile direction dont personne n’avait la moindre idée en un siècle où la science aliéniste était inconnue. Les visites de Ferdinand, ses indications générales et ses ordres plus ou moins sages ne pouvaient exercer d’action énergique ni sur des agens mal préparés à une œuvre aussi délicate, ni sur l’organisation si profondément atteinte de la malheureuse souveraine.

Au milieu de ces péripéties, et comme une bizarre antithèse aux scènes douloureuses qui se produisaient à Tordesillas, un fait politique intervint, tellement invraisemblable, qu’on ne pourrait y croire si des documens certains n’en établissaient l’authenticité. Jeanne fut demandée en mariage, et à deux reprises, et avec beaucoup d’instances, par le vieux roi Henri VII d’Angleterre. Celui-ci pouvait moins que personne ignorer l’état mental de la princesse : il avait été témoin des premiers symptômes lors du voyage de l’archiduc et de Jeanne à Windsor ; son fils était marié à la dernière fille du roi d’Aragon et n’ignorait certes pas cette infortune de famille ; enfin, l’internement de la reine à Tordesillas et ses causes étaient connus de toute l’Europe. Le calcul diplomatique domina cependant toute autre considération dans l’esprit d’un prince aventureux, disposé, comme la plupart des souverains d’alors, à rechercher à tout hasard des droits vagues, des prétextes à ingérence, des combinaisons imaginaires. Quels qu’aient pu être ses projets obscurs, il avait déjà demandé la main de Jeanne dès la mort de Philippe le Beau. Courtoisement éconduit alors, il renouvela ses démarches quelques années plus tard, peu de temps avant la dernière visite de Ferdinand à Tordesillas. Le roi d’Aragon ne prit pas assurément ces ouvertures au sérieux, mais il ne voulait pas mécontenter le monarque anglais dont l’amitié agréait à sa politique. Il affecta donc de suivre la négociation avec bonne grâce : il autorisa l’ambassadeur d’Angleterre à remettre à la reine une lettre de Henri VII, répondit à ce dernier en termes affables que si sa fille, tout entière au deuil de l’archiduc, consentait à une nouvelle union, lui-même en serait heureux, et il ajouta même avec une vague ironie voilée sous une phrase encourageante « qu’elle n’épouserait jamais un autre prince