prescrivit diverses réformes favorables à la santé physique et morale de la princesse. Dans les idées de son temps, il crut certainement avoir accompli tout son devoir paternel. Ses ordres furent exécutés pendant son séjour : malheureusement, après son départ, non seulement le gouvernement de la maison royale ne fut guère modifié, mais encore Jeanne reprit sa manière de vivre, couchant sur la dure, portant des vêtemens délabrés, refusant de se soumettre aux plus vulgaires usages de la vie privée, parfois même, lorsqu’on opposait le moindre obstacle à ses volontés déréglées, refusant toute nourriture.
Cette forme particulière de la résistance troublait étrangement le majordome Mosen Ferrer. Il en rendit compte au cardinal Ximenès dans une lettre qui a été considérée, peut-être avec raison, comme une preuve péremptoire de sa barbare conduite envers sa souveraine. On va voir cependant que le sens de son récit est sujet à controverse : il y expose que pendant une crise, Jeanne, persistant violemment dans un caprice et décidée à l’emporter de haute lutte, déclara vouloir se laisser mourir de faim et se maintint si longtemps dans cette résolution qu’un dénoûment funeste était à redouter. En présence d’une obstination qui paraissait invincible, Mosen Ferrer raconte qu’il dut « dar la cuerda, » c’est-à-dire, d’après la traduction littérale, lui donner de la corde, pour la contraindre à manger. Il semble bien que ces mots signifient qu’il osa frapper la reine ou du moins la lier : mais quelques écrivains ont prétendu, se référant à l’interprétation d’un dictionnaire, que le terme « dar la cuerda » peut se prendre au figuré et signifier seulement « insister, négocier longuement. » Cet incident demeure donc fort ambigu : d’un côté, on ne comprendrait guère que Mosen Ferrer eût fait usage d’une locution à double sens en une circonstance où sa responsabilité était si gravement engagée ; mais il est également extraordinaire qu’il ait eu l’audace de porter la main sur la personne royale et l’impudence d’informer le ministre d’un acte aussi odieux. Nous ne saurions nous prononcer à cet égard : quoi qu’il en soit, il résulte clairement de cet épisode que l’état pathologique de Jeanne s’aggravait avec le temps, présentait toujours les mêmes symptômes, et aussi que les dispositions prises à Tordesillas par le roi d’Aragon n’avaient pas été efficaces, soit pour la santé de sa fille, soit pour la conduite de l’entourage. Disons cependant à son honneur qu’il ne se découragea point et revint au château en 1513. Il parut fort