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Ferdinand, s’est exercé sous le règne de Charles-Quint avec une dureté extrême, soit par la négligence du prince, soit par le zèle maladroit des subalternes. Un traitement plus libéral et plus attentif eût vraisemblablement prévenu ce danger, et par une douceur assidue et une respectueuse sollicitude, on eût au moins atténué le mal qu’on ne pouvait guérir. Jeanne a été ainsi la victime, non pas de calculs prémédités, mais de l’ignorance médicale et de la rudesse des mœurs du temps ; malgré les quelques témoignages d’intérêt transitoire qui lui furent donnés par son père et ensuite par son fils, malgré le grand nombre des personnes nominalement attachées à son service, le régime véritablement oppressif auquel elle a été soumise n’a jamais été utilement modifié ; et c’est ainsi que la maladie, qui ne se manifestait à l’origine que par intervalles, a dégénéré lentement, — et encore après de longues années, — en folie caractérisée et permanente.


IV

Nous avons laissé Jeanne au château d’Arcos. Cette habitation, trop étroite pour l’entourage, n’offrait en outre aucun moyen de défense contre un coup de main éventuel de seigneurs ou d’aventuriers. À cette époque et dans l’état des choses, il y avait là un péril que le prudent roi d’Aragon ne pouvait dédaigner. Il désira donc que sa fille s’établît dans le château fort de Tordesillas, très grand et bien muni contre l’attaque soudaine de quelques séditieux. C’était une construction un peu sombre, affectant les formes à demi claustrales et à demi guerrières des bâtimens féodaux d’alors. Jeanne accéda sans difficulté au vœu de son père, qui vint lui-même la chercher à Arcos. Ils se rendirent ensemble à Tordesillas, précédés par le cercueil de Philippe qui fut placé, par égard pour la monomanie de la reine, dans le monastère de Santa Clara, contigu au palais. Les officiers et dames de la suite furent aisément logés dans cette vaste demeure. La maison de Jeanne fut dès lors complètement organisée : Mosen Ferrer, ancien ambassadeur, intime confident du roi d’Aragon, devint majordome général, Doua Maria de Ulloa reçut le titre de camarera mayor, plusieurs femmes de haute qualité eurent le rang de dames d’honneur ; un trésorier, des intendans, de nombreux domestiques furent chargés du service intérieur. D’autre