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connétable, le marquis de Villena, le comte d’Urena, les évêques de Castille et nombre de gentilshommes : ce fut entouré de ce brillant cortège qu’il se rendit à la résidence de sa fille. Jeanne l’accueillit sur le seuil et se jeta à ses pieds : il la releva, fléchit à son tour le genou devant elle et ils s’embrassèrent avec effusion. Nul n’assista à leur entretien : on sut seulement que la reine avait prié son père de se charger des soins du gouvernement ; bien plus, pour faire voir combien elle entendait désormais lui obéir, elle lui demanda, lorsqu’il sortit, et en public, la permission d’aller à la messe le lendemain. Ferdinand, investi désormais régulièrement de l’autorité par délégation de la souveraine légitime, pourvut aussitôt aux offices militaires, administratifs et judiciaires et donna tous les ordres nécessaires à la tranquillité publique et à la gestion des finances. Fidèle aux strictes convenances d’étiquette, il fit célébrer un service solennel pour le repos de l’âme de Philippe et il y assista avec sa fille, mais il eut soin en même temps de révoquer tous les actes de l’archiduc. Le parti flamand, désorganisé par les inflexibles mesures de ce rude maître, dut ajourner ses espérances à la majorité de don Carlos. Ximénès obtint, suivant les conventions antérieures, le premier rang dans les conseils de l’État : le pouvoir fut ainsi solidement constitué et l’Espagne pacifiée sans coup férir ; les personnages étrangers, la soldatesque, les séditieux féodaux ou populaires disparurent, et le roi d’Aragon retrouva, par la combinaison des événemens, par la force des choses et par sa prudente conduite, une autorité plus grande que celle qu’il avait perdue.

Il lui restait cependant une démarche de famille à accomplir. Jeanne ne connaissait point sa jeune belle-mère, Germaine de Foix, et il était délicat de la mettre en présence de celle qui tenait la place d’une mère tendrement aimée. Ferdinand redoutait de l’affliger et surtout de la troubler : après avoir longtemps hésité, il résolut cependant de risquer l’entrevue en choisissant un moment où l’esprit de la reine était calme. Celle-ci avait tout à coup renoncé au projet de conduire le corps de l’archiduc à Grenade, et accepté pour résidence le château d’Arcos, ne voulant point habiter Burgos où son mari était mort. Ce fut donc à Arcos que Ferdinand, après avoir longuement préparé cette visite, se rendit avec Germaine. Il entra d’abord seul chez sa fille pour s’assurer de ses dispositions, puis il fit venir sa femme. Jeanne se leva et prit, pour la baiser, la main de sa belle-mère qui, sans y