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succession des êtres dans les temps passés. Les géologues se rappelaient ces mots que Fontenelle avait prononcés en 1712, à propos de la présentation à l’Académie d’un ouvrage sur les fossiles du savant suisse Scheuchzer : « Voilà de nouvelles espèces de médailles dont les dates sont plus importantes et plus sûres que toutes les médailles grecques et romaines. » On appréciait de plus en plus un mémoire que l’Anglais Smith avait publié sous le titre : Strata identified by organised fossils. Des travaux nombreux et remarquables de paléontologie appliquée à la géologie ont apparu dans tous les pays. En France, ceux d’Alcide d’Orbigny ont eu une importance considérable. Nul plus que lui ne s’est attaché à la chronologie des fossiles. Il a cru reconnaître que les êtres ont été renouvelés cinq fois pendant l’ère primaire, dix-huit fois pendant l’ère secondaire, cinq fois pendant l’ère tertiaire. Partisan de la fixité des espèces comme presque tous les hommes de son temps, il n’admettait aucune transformation ; croyant aux grands cataclysmes périodiques décrits par Élie de Beaumont, il supposait que ces cataclysmes avaient mis fin aux êtres d’une époque et que d’autres êtres avaient été créés dans l’époque suivante. Cela n’est plus en accord avec nos idées actuelles ; mais, si on se reporte à cinquante ans en arrière, on comprend que d’Orbigny opérait une révolution dans la science. Il résultait de ses recherches sur la chronologie des fossiles que la paléontologie n’était plus une simple annexe de la zoologie : elle devenait une science spéciale qui a pour objet l’histoire de la succession des êtres.

C’est pourquoi l’idée d’un enseignement de la paléontologie s’imposait dans le Jardin des Plantes. Évidemment Alcide d’Orbigny était le mieux préparé pour un tel enseignement. Mais c’était un chercheur dont tous les instans étaient consacrés à dégager les fossiles de la pierre, à les raccommoder, les décrire ; aucun homme n’était plus incapable de faire des démarches. Il avait pour beau-père Gaudry, l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, universellement aimé dans le barreau. Tandis que tous les anciens bâtonniers de son temps, Billault, Baroche, Delangle, Duvergier, Boinvilliers, étaient arrivés aux plus hautes positions politiques, Gaudry voulait rester avocat et ne demandait rien. Aussi, quand il fit remarquer qu’Alcide d’Orbigny avait vécu huit ans en Amérique, visitant les peuplades les plus reculées, qu’il avait publié sur l’Amérique un ouvrage de huit volumes