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l’émancipation de l’individu. L’homme, autrefois, n’était qu’une unité dans un groupe ; il compte, aujourd’hui, il vaut pour lui-même. Il s’est dégagé, peu à peu, des groupes religieux, familiaux, politiques ou professionnels, où il était jadis emprisonné, de la naissance à la mort. Longtemps tenu en tutelle par la communauté, ou par la famille, l’individu a, enfin, atteint sa majorité. La grande œuvre de la Révolution a été de le faire émerger en dehors des cadres sociaux et des groupemens collectifs où il était confiné. Je ne sais ce qui en est de l’Asie et de l’Afrique, des jaunes ou des noirs, mais la civilisation de notre race blanche est, essentiellement, individualiste ; et si elle venait à cesser de l’être, nous pourrions parier que l’hégémonie du globe passerait, bien vite, à d’autres. Loin de tendre à l’absorption collectiviste, toute l’évolution des races supérieures tend à l’affranchissement de la personne humaine, autant dire à la libération de l’individu. Vous avez beau vous en défendre ; vos doctrines vont à l’encontre de l’évolution des sociétés occidentales. Vous ne visez à rien moins qu’à retourner le monde ; vous ordonnez à l’histoire de refluer vers le passé, vous ne craignez pas d’enjoindre à l’humanité de rebrousser chemin. Autant commander au soleil de se lever à l’Occident. Vous voulez nous faire revenir aux sociétés primitives, pour ne pas dire aux sociétés animales. Vous n’y réussirez pas. Certes, il peut se rencontrer dans l’histoire, des périodes de rétrogression ; l’humanité n’avance pas sans reculs et sans chutes. Peut-être le collectivisme aura-t-il son heure. Je me dis parfois que les masses, séduites par vos promesses, voudront essayer de votre panacée. Mais alors même que vous viendriez à vous emparer de la France et de l’Europe, votre victoire serait courte. Tous les instincts d’indépendance qui bouillonnent dans les cervelles contemporaines s’insurgeraient contre votre joug. Les libres énergies, imprudemment comprimées, feraient sauter votre société collectiviste, comme la vapeur sans issue fait éclater une chaudière. Croyez-moi ; les libres aspirations de l’homme moderne seront, pour vous, un gaz incompressible.

LE COLLECTIVISTE. — Soyez tranquille ; nous saurons leur laisser une soupape de sûreté. Le temps approche où cet homme moderne, las des excès et des mécomptes de l’individualisme, désabusé de ses rêves d’orgueilleuse indépendance, fera bon marché de ses libertés anarchiques et cherchera un refuge dans le collectivisme. En attendant, appelez-nous, si bon vous semble,